Pénurie du carburant à Kinshasa : Didier Budimbu appelé à désamorcer la bombe

En l’espace de trois mois, Kinshasa connaît en ce début de mois septembre, qui a coïncidé avec la rentrée scolaire, une poussée de fièvre due à la pénurie du carburant. Des longues files sont observées dans les stations-services : certains automobilistes y passent carrément la nuit. Dans un contexte aussi marqué par des embouteillages qui n’en finissent pas, se déplacer dans la capitale devient un véritable parcours de combattant. Les uns appellent le Gouvernement à remédier à cette situation le plus rapidement possible, tandis que les autres, de plus en plus radicaux, faisant fi de la conjoncture internationale sur fond de la guerre russo-ukrainienne dont l’une des conséquences est l’énergie chère au monde, trouvent ici l’occasion d’en découdre avec le régime Tshisekedi. D’autre part, désabusée par la subvention des produits pétroliers, la profession pétrolière se montre aux antipodes de l’exécutif et surfe sur la vérité. Vivement interpellé, Didier Budimbu, ministre en charge des Hydrocarbures, est appelé à désamorcer le cocktail explosif. Plutôt que des mesures à la semaine, ce secteur si stratégique requiert une grande attention et des politiques publiques adéquates devant intégrer la donne internationale.

Fin mai 2022, le prix du carburant a été réajusté afin de faire face à la pénurie qui avait mis à l’épreuve, principalement, la ville de Kinshasa. Dans la partie Ouest du pays, y compris la capitale, le prix d’un litre d’essence était passé de 2 095 FC à 2 345 FC, soit 250 FC d’augmentation, celui du gasoil avait atteint à 2335 FC. Cette
augmentation de prix valait également pour les parties Nord, Est et Sud du pays. Mais après trois mois d’accalmie, Kinshasa replonge dans la crise.
Ressentie en premier lieu dans le secteur aéronautique, qui a vu à la chaîne des avions cloués au sol, faute de stocks du jet A1, la crise du carburant s’étend également au super, dont les stocks sont au plus bas par manque de réapprovisionnement. Ce qui avait conduit le Gouvernement et la profession pétrolière au rationnement, en attendant que des tankers annoncés mouillent sur la côte congolaise. Du coup, des longues files des véhicules et motos ont repris dans les stations-services. Certains conducteurs y ont élu carrément domicile.
Dans un contexte marqué également par des embouteillages autour des stations-services et sur les principales artères de la capitale, se déplacer à Kinshasa devient un véritable parcours de combattant, surtout en cette période qui coïncide avec la rentrée scolaire. Les élèves éprouvent toutes les peines du monde pour arriver à leurs l’écoles et en repartir. De même, les parents ne savent pas rejoindre
facilement leurs postes de travail, ainsi que les autres citoyens appelés à des activités diverses. La tension est en train de monter de plusieurs crans.

Désamorçage difficile du cocktail explosif
Face à cette situation critique, susceptible de conduire à des émeutes, Didier Budimbu, ministre en charge des Hydrocarbures, a donné de la voix. D’abord par un communiqué le mardi 06 septembre, ensuite par une déclaration à la radiotélévision nationale le mercredi 07 septembre. Ces deux sorties en l’espace de deux jours successifs attestent de la gravité de la crise de carburant.
Par ses sorties médiatiques, en effet, le ministre Didier Budimbu a tenu à apaiser la population, frappée de plein fouet par cette pénurie du carburant, et à la rassurer des efforts entrepris par le Gouvernement pour la juguler au plus vite. Il a, de ce fait, annoncé l’arrivée, le 14 septembre, d’un bateau de ravitaillement. Dans la foulée, un autre tanker pourrait accoster quelques jours plus tôt suite au décaissement réalisé dans l’urgence par les ministères du Budget et des Finances. Ce qui va, sans doute, remonter le niveau des citernes des pétroliers, lequel est présentement critique. Situation qui a poussé l’exécutif, de concert avec la profession pétrolière, d’appliquer un plan de contingentement en vue de réduire la
consommation journalière d’essence, qui est passée de 1100 m³ à 660 m³/jour. Ceci dans la perspective d’éviter une éventuelle rupture totale des stocks.
En vue de la gestion efficiente de cette période passagère marquée par la baisse des stocks d’essence, le patron des Hydrocarbures, qui a fait savoir que le Gouvernement prend en charge 1700 FC sur chaque litre de carburant vendu, a appelé les uns et les autres à un esprit patriotique, c’est-à-dire, à ne pas faire le plein de leurs véhicules afin de permettre à tout le monde d’accéder à ce liquide précieux. Et d’indiquer que les stations-services sont aussi concernées par ce plan de contingentement avec la limitation du volume en litre par véhicule.
L’appel du ministre des Hydrocarbures a reçu un accueil mitigé dans l’opinion. Dans leur ensemble, les Kinois se montrent très préoccupés par cette pénurie qui les empêche de vaquer paisiblement à leurs occupations et en rajoute à leur quotidien difficile au départ. Les plus radicaux, qualifient de bla-bla les explications ainsi fournies. Pour eux, le maître mot, c’est la démission de l’actuel gouvernement.

L’énergie chère n’est pas l’apanage de la seule RDC, mais….
La RDC n’est pas le seul pays au monde à connaître présentement la pénurie du carburant. La situation est internationale avec le monde entier qui est pris dans le piège de la guerre russo-ukrainienne. Lequel conflit vient à la suite du Covid-19, qui a mis à rude épreuve les grandes économies mondiales et dont les effets sont encore perceptibles, entraînant ainsi celles de la périphérie dans une incertitude caractérisée.
Les sanctions prises par l’Occident contre la Russie en rapport avec l’agression de l’Ukraine ont eu des répercussions néfastes sur beaucoup de pays, y compris occidentaux. L’inflation n’épargne pas nombre de pays européens au point que, vingt ans après son lancement, l’Euro a reculé devant la devise américaine. L’Europe est en train d’expérimenter l’énergie chère. Avec la fermeture des pipelines par la Russie, le prix de l’essence, et aussi du gaz, prend de l’envol et
entraine à la hausse des prix d’autres denrées et services. Cette crise a aussi des retombées sur le plan alimentaire avec la difficile exportation des céréales russes et ukrainiennes vers plusieurs coins du mode.
En Allemagne, le prix de l’essence et du gasoil est monté il y a une semaine, ainsi qu’indiqué sur un panneau photographié le mercredi 07 septembre dans la petite ville d’Alsdorf. Il est passé en moyenne de 1,6 à 2,3 euros, soit plus de 5000 FC. Un compatriote du nom de Beckson Beya a du parcourir le même jour à vélo les 15 km qui séparent sa ville Alsdorf à celle de Baesweiler. A cause de l’essence chère, il a rangé carrément sa voiture au garage. Il réserve sa voiture pour des
courses autrement plus urgentes et privilégie, désormais, le transport public. Mais après trois mois de baisse sensible du coût du transport public décrétée par le Gouvernement pour alléger les charges de la population face à l’énergie chère, l’abonnement mensuel vient de passer de 9 à 110 euros.
Dans l’Hexagone, le président Emmanuel Macron a recommandé tout récemment aux Français la sobriété. Il les a prévenus que les jours à venir seront durs. Un de nos compatriotes vivant à Rouen, en France, a posté mercredi une vidéo devenue virale dans laquelle il fait la file dans une station-service. A l’occasion, il a appelé ses compatriotes au pays à ne pas se moquer de leur patrie, ainsi que de ses dirigeants.
Si les grandes économies au monde peuvent être ainsi affectées, quel peut être le sort de celle de la RDC, désarticulée depuis des lustres ? Aussi, plus près de nous, l’Angola et le Congo-Brazzaville, de surcroît producteurs du pétrole, ont été secoués pendant de longues semaines par la tempête pétrolière. Le Cameroun et tant bien d’autres pays africains ne sont pas à l’abri.
Le problème de l’énergie chère est réel. Il est global. Il appelle, cependant, des mesures spécifiques inhérentes à chaque pays pour y faire face. La RDC y compris.

Vérité des prix, anticipation et politiques publiques adéquates
En rapport avec cette crise, le Gouvernement et la profession
pétrolière ne semblent pas parler le même langage. Ils paraissent ne
pas avoir, l’un et l’autre, la même appréhension du problème. Invité
le mardi 06 septembre à l’émission «Dialogue entre Congolais » sur
Radio Okapi, Simplice Mulumba, Directeur général de la Société
pétrolière Okapi distribution, n’a pas usé de circonlocutions. Il a
indiqué que la solution à la pénurie du carburant à Kinshasa passe par
le remboursement de 400 millions USD aux sociétés pétrolières de
manque à gagner dû au système de subventions. Ceci aux fins de se
réapprovisionner. Tout en demandant au Gouvernement de réajuster le
prix à la pompe pour créer l’équilibre, il a laissé entendre que
quarante-huit heures suffisent pour résorber ladite crise. Et pour
résoudre ce problème de manière efficace et durable, il pense qu’«il
suffit que le gouvernement rembourse aux sociétés pétrolières le
manque à gagner dû au système de subvention, supprime ce système, et
fixe le prix réel».
Par contre, son contradicteur, Tony Chermani, Conseiller technique
Aval du ministre des Hydrocarbures, ne voit pas les choses en termes
de pénurie du carburant. Il parle plutôt de baisse drastique du volume
des stocks physiques, notamment, au terminal SEP Congo. Le stock en
place, a-t-il noté, est bas. Ce qui a conduit au plan de
contingentement en attendant les navires qui arrivent. Il a rassuré
que les solutions sont en train d’être trouvées pour le jet, l’essence
et le gasoil.
Les propos de Simplice Mulumba et Tony Chermani attestent bel et bien
que le Gouvernement et les pétroliers n’émettent pas sur la même
longueur d’onde. L’un est motivé par le profit, ce qui est normal pour
la profession pétrolière, et l’autre par la protection du pouvoir
d’achat de la population et la préservation de la paix sociale, ce qui
relève de la responsabilité de l’Etat.
Un juste milieu est-il possible entre les deux parties ? C’est une
question qui requiert des négociations sincères et objectives en vue
de prendre en compte les intérêts mutuels et trouver une plage de leur
contrebalancement afin de minimiser les pertes de chacune de parties
et les contenir. D’autre part, le Gouvernement se doit d’apprendre à
jouer à l’anticipation et développer, le cas échéant, une
communication de crise. La situation internationale vient même à sa
rescousse, c’est-à-dire lui donne beaucoup d’arguments pour ce faire.
Il importe donc de devancer les événements et non attendre d’être à
leur remorque pour donner de la voix.
Le carburant, pour ne pas parler du pétrole et de ses dérivés, est
une matière stratégique, qui requiert une grande attention et un
monitoring du Gouvernement. Au centre de toutes les activités, il
peut, si on n’y prend pas garde, être le détonateur d’une explosion
sociale à même de bousculer l’ordre politique établi.
La mise en place des politiques publiques adéquates en la matière est
donc utile pour résoudre cette question de façon efficace et durable.
L’engagement pris par la RDC d’être comptée parmi les producteurs
importants de l’or noir au travers des appels d’offre internationale
sur les 32 blocs pétroliers et gaziers dont regorge est à encourager.
Mais, c’est une politique à long terme, dont les effets ne sont pas
immédiats. Il y a nécessité d’une vison à moyen et court termes. Les
sociétés étatiques dans le secteur des hydrocarbures, telles
l’ex-COHYDRO et COBIL, devraient être redynamisées et rendues
compétitives pour faire le contrepoids des privés, ce qui pourrait
amener à un certain équilibre sur le marché. La subvention reste, en
attendant, un outil dont on ne sait se passer pour le moment, mais il
reste que son harmonisation eu égard à l’envolée des prix pétroliers
sur le marché international et à la protection du pouvoir d’achat de
la population, est utile afin de ne pas écraser la profession
pétrolière, d’une part, et d’augmenter à l’excès, d’autre part, les
charges de l’Etat. La mise en place d’un stock de soudure est
absolument nécessaire pour faire face à certains aléas. Mais en
attendant, le ministre Didier Budimbu, par devers lui le Gouvernement,
est appelé de toute urgence à désamorcer le cocktail explosif au
centre duquel le carburant est non seulement la matière la plus
inflammable, mais aussi le détonateur. Des négociations urgentes avec
la profession pétrolière sont vivement souhaitée.
(Par Moïse Musangana)

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