Après sa première tribune sur la relance de l’économie congolaise, Alphonse Shungu Mahungu, Économiste , Ancien Directeur de cabinet au Ministère de l’Economie Nationale, Ancien conseiller à la Présidence de la République et Ancien Assistant à la Faculté des Sciences économiques, politiques et sociales de l’Université Libre de Bruxelles, vient de publier sa deuxième tribune où il poursuit sa réflexion sur la même thématique, mais cette fois-ci en abordant un sujet encore plus complexe en République Démocratique du Congo. Il s’agit de
l’entreprenariat, la création d’emplois et la protection du pouvoir d’achat.
Dans sa réflexion, il martèle sur la culture de l’entrepreneuriat qu’il faut impérativement inculquer aux Congolais, associée aux politiques favorables aux petites et moyennes entreprises (PME). C’est grâce à ces points fondamentaux qu’on peut alors espérer une réelle création massive d’emplois, une augmentation de la compétitivité, à la restructuration et la redynamisation de l’économie en RDC.
Voici l’intégralité de sa deuxième Tribune, reprise in extenso, ci-dessous.
Création d’emplois, entrepreneuriat, diversification de l’économie et préservation du pouvoir d’achat des Congolais : quatre thématiques clés qui cadrent avec la vision du Chef de l’État. Lors de son discours prononcé le 20 janvier 2024, le jour de son investiture, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, Président de la République Démocratique du Congo, a mis en exergue ses six engagements à concrétiser dans le cadre de son nouveau quinquennat, dont trois concernent les aspects économiques :
1) créer des emplois, notamment pour les jeunes, par la promotion de l’entrepreneuriat ;
2) le pouvoir d’achat des ménages congolais ;
3) poursuivre la diversification de notre économie, accroître sa compétitivité en optant pour la transformation de nos produits agricoles.
Le Chef de l’État définit le cap et donne des orientations. Il revient aux personnes, à ses proches collaborateurs et conseillers qui l’accompagnent, d’affiner et d’enrichir plus en détail le contenu de sa vision et de sa stratégie.
“La lutte contre le chômage doit être une priorité absolue pour assurer un avenir économique florissant à la République Démocratique du Congo”
Parmi ces trois engagements économiques, la priorité doit être accordée à la lutte contre le chômage, un défi majeur et persistant en République Démocratique du Congo depuis plusieurs décennies.
Résorber le chômage en RDC est possible si, et seulement si, le pays crée davantage de richesses de manière durable.
Il est de notoriété publique que le secteur public, avec ses salaires moyens modestes versés aux fonctionnaires, n’a pas la capacité d’absorption nécessaire en termes de chômage.
Sans aucun doute, la solution réside dans le développement du secteur privé, et plus encore dans la diversification d’un grand nombre d’activités économiques ou dans un foisonnement du nombre de Très Petites Entreprises (TPE) et de Petites et Moyennes Entreprises (PME), actives dans notre économie.
Un premier levier que doivent actionner les pouvoirs publics pour aider les jeunes ayant des idées de création d’entreprises est la promotion de l’entrepreneuriat.
“Cultiver l’Esprit d’Entreprise : Clé du Succès Économique Congolais”
Concernant la création d’emplois, l’entrepreneuriat en RDC n’est pas une solution immédiate, mais doit être considéré comme un remède efficace à moyen et long terme. La raison en est simple : la culture entrepreneuriale n’est pas encore suffisamment présente et ancrée dans l’ADN des Congolais.
Elle n’est pas encore intériorisée par de nombreux Congolais. Comparés à d’autres États, principalement anglophones, nous, Congolais, n’avons pas encore atteint une masse critique en ce qui concerne le nombre d’entrepreneurs, créateurs d’entreprises.
La réforme de l’enseignement : un must si l’on veut développer l’entrepreneuriat
Pour utiliser efficacement cet outil, la première imperfection à corriger est l’amélioration de la qualité de notre capital humain. Ceci passe inéluctablement par une révision complète de nos programmes scolaires, calqués sur le modèle des pays scandinaves, la revalorisation de tous les enseignants, du primaire au supérieur, et la réalisation d’investissements dans toutes les filières du secteur de l’enseignement. La seconde imperfection, à la fois une lourde contrainte et une véritable chape de béton pesant sur les épaules des entrepreneurs congolais en herbe, à faire sauter absolument, concerne le financement des projets relatifs à la création de nouvelles entreprises. L’obtention de crédits bancaires pour le financement de tels projets auprès des banques, toutes étrangères, implantées et actives sur l’ensemble du territoire congolais, est un défi majeur.
L’analyse des faits stylisés et des enquêtes sur le terrain démontre à quel point les taux d’intérêt bancaires exigés des Congolais sont prohibitifs et totalement en leur défaveur par rapport à ceux accordés aux ressortissants des communautés étrangères.
Comment expliquer que les affaires des communautés indo-pakistanaises, nigérianes et autres prospèrent de manière exponentielle alors que les nôtres stagnent presque toujours ?
Nous, Congolais, devons avoir confiance en notre propre économie. Si tel est le cas, alors nous pouvons envisager de mettre en application d’autres sources alternatives de financement dans nos propres entreprises, notamment en démarrage, et projets privés, à l’instar d’autres pays du monde : le crowdfunding ou financement participatif (mise en commun de ressources par de nombreuses personnes pour investir dans des entreprises ou des projets privés) et les business angels ou investisseurs providentiels (individus ou groupes d’individus qui investissent leur propre argent dans des entreprises en démarrage).
Osons changer ce paradigme pour l’intérêt général ou supérieur du pays.
L’implication nouvelle des pouvoirs publics : une lueur d’espoir
Tout n’est pas sombre concernant la problématique du financement relative à la reprise et la création de PME. Il convient de louer les efforts déployés par les pouvoirs publics et de reconnaître les progrès réalisés dans ce domaine. Nous citons la mise en place du FOGEC (Fonds de Garantie de l’Entrepreneuriat au Congo), de l’ANADEC (Agence Nationale de Développement de l’Entrepreneuriat Congolais), le protocole de collaboration récemment signé entre la FOGEC et le FPI (Fonds pour la Promotion de l’Industrie) pour financer les projets des jeunes entrepreneurs, venant ainsi corriger l’asymétrie de l’information sur le marché d’octroi des crédits. Cependant, cela reste insuffisant ; il faut en faire davantage, notamment arriver, par exemple, à la création d’une banque de développement ou d’une série de banques sectorielles (habitat, agricole, etc.) à 100 % capitaux congolais et qui soit gérée par des banquiers et financiers congolais, en toute responsabilité.
Le Congo en dispose, et soyez rassurés.
In fine, ce sont ces crédits bancaires qui irriguent toute l’économie et représentent indirectement un des déterminants du dynamisme entrepreneurial, moteur de la croissance économique et de la création d’activités et de richesse partagée.
La troisième imperfection à mettre en évidence est l’inobservance des structures d’accompagnement de ces jeunes entrepreneurs dans toutes les étapes de création et de croissance ou développement de PME (réseautage, coaching, incubateurs, etc.), des aides ou soutiens à la création d’entreprises en raison du fait que les études empiriques démontrent clairement que beaucoup de nouveaux entrepreneurs échouent avec leurs projets de création d’entreprises après une ou deux années, de l’absence de réglementation sur le délai de paiement (les retards en matière de règlement des factures) qui constitue une source de défaillances des PME…
Disposant d’un mental d’acier, un entrepreneur est à la fois un bon gestionnaire, un révolutionnaire, un vendeur et un téméraire.
Il doit savoir rebondir après un échec. Diversification de l’économie congolaise et formalisation de son secteur informel : deux canaux de création d’emplois pérennes en RDC La principale caractéristique de l’économie de la RDC est sa très forte dépendance au secteur minier (cuivre, cobalt, or, etc.), un secteur à capital intensif élevé et à faible création d’emplois. Une croissance économique reposant majoritairement sur le développement du secteur minier, tel est le cas de la RDC, ne peut avoir qu’un impact non significatif et très limité en termes d’emplois créés. Il en découle qu’accroître massivement les investissements dans une économie de la RDC, orientée vers sa diversification, reste la stratégie optimale à suivre pour renforcer davantage notre croissance économique, source de création de richesses et d’emplois. Au vu du niveau actuel de notre économie, l’État (ensemble des pouvoirs publics congolais) reste l’acteur majeur du développement, le catalyseur et le facilitateur de notre économie, plus précisément en ce qui concerne l’amélioration des conditions de vie de ses populations. Il est contraint d’intervenir avec force et intelligence dans les politiques publiques et sectorielles, bien réfléchies, ciblées et coordonnées. Ces politiques viseront principalement à améliorer le fonctionnement du marché du travail, à accroître l’emploi et à réduire le chômage. Les gisements d’emplois à créer se trouvent concentrés dans les branches économiques du secteur primaire (principalement l’agriculture, la pêche et l’élevage d’une part, et la sylviculture, d’autre part), du secteur secondaire (principalement dans les industries très intensives en main-d’œuvre et transformatrices sur toutes leurs chaînes de valeur) et du secteur tertiaire (services non marchands, services liés au numérique et à l’innovation, etc.). La priorité des priorités revient au secteur primaire avec ses transformations industrielles. Le développement des branches de l’agro-industrie s’explique par le fait que nous, Congolais, devrions d’abord voir notre pays comme essentiellement rural et agricole plutôt que comme un scandale minier. La RDC regorge d’un immense et inestimable potentiel agricole qui, actuellement, est sous-exploité et sous-utilisé. Il est plus que temps et impérieux de le mettre véritablement en valeur. La création de vrais emplois durables est le meilleur levier contre la pauvreté. Réussir ce pari ou relever un tel défi mettrait notamment un terme aussi bien à l’exode migratoire forcé de jeunes Congolais tentés par la périlleuse aventure vers l’Eldorado européen qu’à l’insécurité alimentaire. L’État, catalyseur de notre économie, doit pleinement jouer son rôle actif dans l’organisation des filières industrielles, par exemple dans les textiles et l’habillement à l’instar du modèle du Burkina Faso. Il doit également mettre en pratique une série de mesures protectionnistes pour sauvegarder ces industries naissantes face à la concurrence déloyale en provenance du reste du monde, et enfin promouvoir la consommation de nos produits industriels sur le marché domestique.
Le poids du secteur informel est une seconde caractéristique de l’économie congolaise. Sa formalisation et sa transformation représentent une opportunité à exploiter davantage afin de ramener ses sous-emplois dans la sphère de l’économie réelle. Tous les pouvoirs devront réfléchir ensemble sur le sujet, notamment sur la question de déterminer les droits sociaux minimaux à octroyer aux personnes travaillant dans ce secteur informel, en contrepartie des cotisations versées ou payées. Indubitablement, les solutions envisageables se trouvent du côté de la régulation de ce secteur informel, surtout dans la manière de l’organiser de façon graduelle, et ce, à travers la mise en place de réformes structurelles appropriées. Les pouvoirs publics devront encourager, dans les sous-secteurs composant le secteur informel, la création de structures « intermédiaires » telles que les associations professionnelles et/ou sectorielles, par exemple : les taximen, les motocyclistes, les creuseurs artisanaux de minerais… C’est bien beau de créer des emplois, mais ils doivent être de qualité et pérennes à la fois, et leurs bénéficiaires ne doivent aucunement subir à tout moment l’érosion de leurs revenus. Le renchérissement du coût de la vie impacte le pouvoir d’achat des Congolais dont la plupart ne disposent que de très faibles revenus.
Enfin, les autorités congolaises devront relever le défi de la répartition équitable des richesses. Il y a trop d’inégalités dans la répartition des revenus ; les écarts entre les hauts et bas revenus sont énormes. Il convient de les réduire drastiquement pour que la consommation privée, l’une des composantes de la demande intérieure, redevienne un moteur de la croissance économique auto-entretenue, à l’instar des exportations et des investissements.
De ce qui précède, aller dans le sens du changement de ce nouveau paradigme économique n’est pas insurmontable ; le tout est une question de volonté politique !
Au plaisir de me lire dans la prochaine tribune.
Alphonse Shungu Mahungu, Economiste