« La présidence de la République en RDC propose un million de dollars pour chacun des 41 diocèses du pays». C’est l’information donnée par le journal belge La Libre Afrique dans sa livraison du 12 août 2022 à travers un article sous le titre « RDC : les dollars du pouvoir pour les évêques congolais». Cette offre fait polémique. Et l’article, dont question, relayé, du reste, par certains médias congolais, a fait le buzz dans les réseaux sociaux le week-end.
Connu d’être à la solde d’un acteur politique congolais et pour son aversion au président Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo et son régime, le journal belge fait état d’un entretien, la semaine passée, entre la présidence congolaise et les évêques catholiques. Au menu : l’octroi de la somme d’un million de dollars par diocèse pour la réalisation des projets à impact visible. L’Eglise catholique compte
41 diocèses et 6 archidiocèses.
Cette proposition aurait choqué certains évêques, au premier plan desquels le cardinal Fridolin Ambongo. D’autres, cependant, non opposés à cette main tendue, auraient posé des conditions quant à ce, estimant que ces dollars ne changeront rien. A les en croire, le pouvoir, connaissant le poids de l’Eglise catholique en RDC, sait pertinemment bien que ses évêques seront toujours du côté du peuple et
intransigeants sur le scrutin voulu démocratique, inclusif et transparent.
Bref, La Libre Afrique trouve en cette action une manœuvre de corruption des prélats catholiques en perspective des élections de 2023. Elle soutient que le président Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo voudrait présentement étendre ses largesses aux évêques catholiques. En effet, note-t-elle, après avoir été mal élu en 2018, celui-ci monnaye tout, jusqu’à se constituer une majorité parlementaire à coup de jeeps Hyundai Palissade et à séduire les députés provinciaux pour voter en faveur des candidats du parti présidentiel ou d’un membre de la majorité parlementaire (Union Sacrée de la Nation) en qualité de Gouverneurs de province.
Une vue étriquée
Malgré les rapports difficiles entre sa hiérarchie et le président Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, l’Eglise catholique se révèle toujours être un des grands partenaires de l’Etat. Un de ses organismes, en l’occurrence CARITAS, joue un rôle, et non des moindres, dans la paie des enseignants dans plusieurs coins reculés du
pays non couverts par les banques et difficilement accessibles. En plus, il y a certains projets de l’Etat qui sont pilotés par l’Eglise catholique, surtout dans l’arrière-pays, au vu de l’expertise qu’elle détiendrait localement et en la matière. Il y a quelques années, certaines missions catholiques étaient attributaires de l’Office des Routes dans l’arrière-pays.
Pour mémoire, après l’indépendance du pays comme pendant la période
coloniale, l’Eglise catholique constitue et a toujours constitué un véritable foyer de développement à travers les faisceaux de ses nombreuses missions et autres œuvres sociales disséminées à travers le territoire national, même dans les recoins du pays. Cela sous l’autorité des diocèses, coiffés par les archidiocèses. Il se crée
ainsi autour de ces établissements des activités de développement utiles pour les communautés. Dans la plupart des cas, ce sont des hôpitaux et des écoles tenus par des catholiques, dans une certaine mesure par des protestants, que l’on retrouve dans les lieux presque perdus de la République.
Jadis, l’Eglise catholique a même joué un rôle prépondérant dans le domaine de l’information. Au travers, bien entendu de son agence de presse, présentement à l’agonie, DIA (Documentation et Informations Africaines). Créée en 1957, avec 30 % de sa production consacrés à la pastorale et le reste, soit 70 %, à l’information classique en rapport avec, notamment, la vie nationale, autonome sur le plan de la gestion et de la ligne éditoriale, DIA fut réellement une interface entre
l’Eglise catholique et le monde. Elle était la grande pourvoyeuse des informations en provenance de l’intérieur du Congo pendant, les rébellions des années 60, voire ‘70, grâce aux nombreuses missions catholiques disséminées sur toute l’étendue du territoire national.
Dès lors, il est tout à fait logique et rationnel, en ce moment où l’on parle du développement des 145 territoires, que l’on intéresse l’Eglise catholique, qu’on la branche. Elle a non seulement une banque des données utiles pour la matérialisation de ce plan, mais des projets en faveur des riverains de ses missions, voire au-delà, qui constituent ses fidèles.
Changement d’approche de développement
Une nouvelle approche préside à la réalisation du développement des 145 territoires : faire participer et atteindre les vrais bénéficiaires. C’est ainsi que l’agence d’exécution BCECO (Bureau Central de Coordination), qui avait mandat principal autrefois de gérer les projets d’envergure financés par la Banque Mondiale, la BAD et les autres bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux, est mise à contribution pour environ 10 provinces. L’on voudrait ainsi s’appuyer sur d’autres circuits que ceux traditionnels qui n’ont pas donné des résultats probants et qui nécessitent des réformes en profondeur.
Donc, toute manœuvre de l’Etat envers l’Eglise catholique, voire bien d’autres confessions, religieuses comme ce fut le cas pour le Fonds pour la lutte contre le Covid-19, qui a été politisé à outrance jusqu’à pousser les catholiques à se désister pour en prendre les commandes, ne signifie pas une tentative de corruption. Si cela passe aussi par des véhicules, il sied cependant de noter que c’est depuis
des lustres que l’Etat congolais donne des engins roulants comme cadeaux aux dignitaires de l’Eglise catholique à une occasion ou une autre sans que ceux-ci lui fassent allégeance. Le cardinal Fridolin Ambongo a reçu une jeep du président Tshisekedi lorsqu’il a été élevé au rang de cardinal, don qui lui a permis d’engranger un autre véhicule promis en son temps par son prédécesseur, sans pour autant baisser de garde à l’égard de son régime. Il est toujours vent debout
contre le pouvoir Tshisekedi.
Si effectivement l’information donnée par le journal belge arrivait à se concrétiser, ce qui serait vivement applaudi, les projets à impact rapide, dont question, seraient bénéfique pour les chrétiens catholiques, donc les Congolais, de 41 diocèses, même si par-delà tout, le régime Tshisekedi pourrait en tirer quelques dividendes politiques. C’est donc une action de manipulation et d’intoxication,
une polémique stérile, à laquelle s’adonne, pour les besoins de la cause, le journal belge. Ce ne serait pas la première fois que l’Etat congolais associerait les catholiques aux projets d’intérêt général. L’action à travers CARITAS est une réalité. Outre le service rendu à l’Etat, c’est un marché, comme tous les autres, qui lui procure quelques dividendes en numéraires. Pourquoi ne parle-t-on pas de la
corruption dans ce cas ?
Une crise aussi sur le fond d’argent
En dépit des dérives électorales de 2018, dont on fait porter le chapeau au président Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, à la suite d’un accord qui le lierait à son prédécesseur, alors qu’il n’en était pas organisateur, et des récriminations quant à la désignation de Denis Kadima en qualité de Président de la CENI, l’argent est aussi le nerf de la guerre dans la bisbille entre la hiérarchie catholique et
le pouvoir actuel, sur fond de la gratuité de l’enseignement de base. Pourtant constitutionnelle, cette mesure, combien salvatrice pour de nombreuses couches sociales, a fait monter de quelques crans de plus la tension entre les deux parties.
Il est possible que cette mesure soit prise dans la précipitation et sans évaluation préalable, mais il est aussi vrai qu’elle a asséché les caisses de l’Eglise catholique, dont les «contributions des parents» comptaient parmi les ressources non moins importantes, sûres et certaines. Ce qui aurait, sans doute, perturbé l’administration catholique, qui devrait avoir aligné plusieurs projets sur ces
ressources, y compris les conditions des enseignants qui avaient, entretemps, bénéficié des crédits bancaires couverts par cette manne.
L’aversion de la hiérarchie catholique, eu égard à cette mesure, est connue. Elle est loin de tomber. Nul n’ignore des manœuvres entreprises en guise de revendications, pourquoi pas pour plomber les ailes de cette réforme, parmi lesquelles des grèves sauvages et la prise d’assaut du Palais du Peuple par des élèves des écoles catholiques. Il y a eu, à cet effet, beaucoup de conciliabules qui ont laissé les uns et les autres sur leur soif.
C’est donc possible que l’Etat ait réalisé, après coup, le manque à gagner réalisé par l’Eglise catholique suite à la mesure de la gratuité de l’enseignement. Elle constitue, de ce fait, un grain de sable dans l’engrenage de leurs relations. D’où la présente approche ne serait pas moins une trouvaille pour amortir le choc ainsi ressenti et permettre petit à petit l’équilibre des comptes. Dans ce cas,
l’intervention ne doit pas être ponctuelle. Elle doit s’étendre sur le temps, au prorata du dommage réellement causé. Ce serait une façon de subventionner, dans une certaine proportion, la fameuse «contribution des parents», dont une partie renflouait la trésorerie de l’Eglise.
Ainsi qu’il se dégage, les relations entre le régime Tshisekedi et la hiérarchie de l’Eglise catholique évoluent en dents de scie. Elles sont, tel un pont en déficit de certaines travées pour couvrir l’obstacle à traverser. Et si, en définitive, tous concourent au bien-être du peuple, ainsi que l’avaient souligné conjointement le
président de l’Assemblée nationale, Christophe Mboso, et le cardinal Fridolin Ambongo au mois de novembre 2021 au Centre Lindonge, résidence de ce dernier, alors il n’y a que les intérêts du peuple, dont les uns et les autres n’auraient pas la même appréhension, qui doivent prévaloir.
C’est donc un front tantôt en veilleuse, tantôt en ébullition, qui requiert un regard attentif du pouvoir par des contacts réguliers, des dialogues productifs, des efforts en vue de la concorde nationale et de la sauvegarde de l’intérêt général.
Moïse Musangana