Les récentes catastrophes diluviennes à Kinshasa et ailleurs, et les morts qui en ont résulté, montrent à suffisance que l’État congolais a besoin de partenaires solides, locaux et internationaux, pour relever les défis du développement et du bien-être de la population congolaise. S’il est aujourd’hui largement admis, dans les milieux d’experts et économistes du développement, que les bailleurs de fonds internationaux continueront d’être une composante importante dans l’apport des capitaux nécessaires au développement des infrastructures routières, du réseau énergétique, des industries lourdes et minières, et de l’agriculture, l’État a, de manière tout aussi cruciale, besoin de relais locaux fiables dans la mise en œuvre et l’exécution des projets de développement à fort impact humain et dans l’exercice de certains aspects de ses fonctions régaliennes.
La thèse défendue dans cet article est que certaines institutions non-étatiques comme les Églises Catholique et Protestante, et certains réseaux d’Églises de réveil, peuvent jouer un rôle supplétif pour renforcer l’État. Les Églises Catholique et Protestante en particulier, fortes de leur unicité institutionnelle et de leur expérience plus que centenaire dans de nombreux secteurs de la vie socio-économique du pays, peuvent aujourd’hui étendre leur champ d’action pour inclure certaines responsabilités normalement dévolues à l’État, comme la construction des routes et des micro-réseaux électriques, la lutte contre les érosions, le développement de l’agriculture et la fourniture de certains services publics généralement inaccessibles aux populations défavorisées. Ce modèle de développement a des précédents historiques. Dans les premières années de l’État Indépendant du Congo, les missionnaires catholiques avaient parfois exercé certaines prérogatives régaliennes. Ils avaient par exemple développé des infrastructures qui permirent à la fois la pénétration de l’État et la diffusion du message évangélique. Ils furent, pendant un temps, les seuls autorisés à organiser un enseignement fondamental au profit des populations locales. Les missionnaires protestants avaient aussi joué un rôle pionnier dans le développement socio-économique des populations congolaises, quoique le pouvoir colonial belge ne leur fut pas toujours favorable. Les Pères Blancs, dans la région de Kongolo, obtinrent des privilèges importants, y compris celui de battre leur propre monnaie, le «pesa». L’ironie de l’histoire est que l’exercice d’un contrôle de facto sur l’économie de cette partie du territoire se fit au grand déplaisir du pouvoir colonial belge. Le modèle proposé ici ne va pas jusque-là.
Les deux propositions décrites dans cet article sont : 1) la mise en place des régies de constructions ou intendances générales dans les diocèses Catholiques et protestants, et dans certains réseaux d’églises de réveil, et 2) l’établissement des centres de développement intégral basés sur le modèle du CDI-Bwamanda. Certes, les institutions confessionnelles n’ont pas les moyens financiers de ces propositions. La réussite du modèle dépend de la capacité des institutions confessionnelles et de leurs fidèles respectifs de convaincre l’État et, à travers lui, les bailleurs de fonds internationaux, ainsi que les investisseurs privés, d’apporter les capitaux et l’expertise nécessaires à la mise en œuvre de ces propositions. La création des régies de constructions dans chaque diocèse Catholique, protestant ou de réveil, avec des capacités techniques et opérationnelles suffisantes, permettra à ces institutions de répondre aux appels d’offre et de concourir aux marchés publics et privés pour l’exécution des projets de travaux publics, de génie civil et d’aménagement du territoire. Les Églises catholique et protestante ont une crédibilité et une respectabilité acquises au cours de longues décennies de leur présence en RDC. Il est raisonnable d’attendre d’elles une gestion transparente et intègre des ressources allouées et une efficacité dans l’exécution des travaux, loin de la bureaucratie, pesante souvent décriée dans l’appareil d’État. Si un diocèse catholique ou protestant avait été établi maître d’œuvre ou maître d’ouvrage du projet Tshilejelu, les résultats auraient probablement été meilleurs, pour le plus grand bénéfice des populations locales et de l’État lui-même. Ces régies de constructions devraient jouir d’une autonomie de gestion et d’une certaine indépendance opérationnelle, sur le modèle de l’intendance générale de l’Université Lovanium, mise en place par Monseigneur Luc Gillon, qui permit la construction d’une bonne partie des bâtiments de l’université, du quartier résidentiel Righini, et du réseau électrique du Mont-Amba.
Les centres de développement intégral devraient être établis sur le modèle du CDI-Bwamanda dans chaque diocèse, avec l’ambition de développer l’agriculture et l’élevage et de soutenir d’autres initiatives sociales. Ils pourraient assurer une sécurité alimentaire pour les populations locales, et soutenir l’emploi et le développement à la base. Le projet Bukanga-Lonzo fut peut-être excellent sur papier, mais sa mise en œuvre ne fut pas satisfaisante. Les maigres résultats obtenus sont incompréhensibles au regard des moyens financiers considérables (plusieurs centaines de millions de dollars) qui furent alloués à ce projet. Le CDI-Bwamanda n’a pas bénéficié de financements aussi importants, et pourtant, il eut un impact mesurable et durable sur la vie socio-économique de plusieurs millions de personnes sur un territoire couvrant plus de deux fois la superficie de la Belgique. Ses activités ont touché des domaines variés comme l’agriculture, la santé, l’éducation, la construction et l’entretien des routes, la petite industrie de transformation.
Ces deux propositions incarnent une approche ascendante du développement, du bas vers le haut, décentralisée et dépolitisée. Elles peuvent être considérées, non sans sarcasme, comme une forme aseptisée du programme gouvernemental de 145 territoires. La différence est que dans le modèle présenté ici, l’État central octroie des moyens financiers importants à des institutions non-étatiques, pour créer des unités de production auto-suffisantes, durables et reproductibles. Cette approche est au cœur du concept de subsidiarité, qui assure que la responsabilité du développement à la base revienne aux populations directement concernées par celui-ci. Elle permet d’octroyer aux communautés locales le pouvoir et les moyens de leur propre développement alors que l’État central conserve une position de principal investisseur (à côté des bailleurs de fonds internationaux) et un rôle stratégique de contrôle et de suivi. Dans leur phase de croisière, les intendances générales et les centres de développement intégral pourraient être en mesure d’assurer par exemple un financement local de la gratuité de l’enseignement.
En définitive, le modèle proposé dans cet article encourage les communautés locales à se prendre elles-mêmes en charge, et ce faisant, à contribuer au renforcement de l’État central en RDC. Sa mise en œuvre pourrait transformer le paysage socio-économique du pays et le vécu quotidien des populations à travers le pays. Mais, les coûts financiers relatifs à l’exécution de ces projets ne sont pas moindres et nécessitent sans aucun doute l’appui des investisseurs locaux et internationaux. Cet article est aussi un appel pressant auprès de ceux qui tiennent les cordons de la bourse pour obtenir leur engagement immédiat et résolu en faveur du renforcement de l’État et du développement socio-économique en RDC.
(Par Gilles MPEMBELE, PhD, MBA, Senior Avionics Engineer at The Boeing
Company, Adjunct Professor at Washington University in St. Louis, Missouri)