enclavées, pauvres et celles vivant dans les zones à conflits ?
En plein dans le Congo profond, nous sommes à Basankusu, pays de Ngombe, vaste territoire enclavé, en pleine forêt Équatoriale qu’on ne découvre qu’au péril de sa vie dans des embarcations de fortune sur le majestueux fleuve Congo. Ici, on côtoie au quotidien le fleuve et la forêt jusque dans leurs méandres insoupçonnés pour y prélever, sans en abuser, tout ce dont on a besoin pour sa survie. Mais à la tombée du jour, on peine à distinguer sur le sol ferme son ombre tant
l’obscurité est épaisse et l’électricité absente. De Basankusu à Bunagana en passant par Kwamouth, la problématique de l’accès à l’électricité s‘accouple soit à l’extrême pauvreté, à l’enclavement ou soit encore aux conflits. Une réalité, à quelques différences près, commune à tous nos 145 territoires.
Un peu partout dans l’arrière-pays, à l’image de Basankusu, de vastes zones propices à la production à grande échelle des cultures pérennes telles que l’huile de palme, le café, le cacao, restent englouties dans le sous-développement en raison de l’absence d’opérateurs énergétiques, du faible pouvoir d’achat des ménages et de l’inadéquation des stratégies de développement utilisées.
Heureusement, observe-t-on, huit ans après la libéralisation du secteur congolais de l’électricité, la résolution de l’équation de l’accès universel à l’électricité semble de plus en plus se dénouer avec des signaux des progrès indéniables. La pénurie énergétique quasi permanente et générale fait progressivement place aux ilots de lumières. Car, désormais, au Congo, des villages lointains, font l’expérience de la lumière et de la transformation de leurs tissus
économiques.
Ce franc succès quoiqu’encore timide, résulte de l’ANSER (Agence Nationale de l’Electrification et des Services Energétiques en milieux Rural et péri-urbain et de l’ARE (Autorité de Régulation du Secteur de l’Electricité) dont l’opérationnalisation, deux ans après, semble avoir joué en faveur d’une nouvelle dynamique dans la question de l’accès à l’électricité des communautés rurales et des couronnes péri-urbaines des villes. C’est dans ce cadre que la RDC a été invitée
à participer à un panel de haut niveau afin de contribuer à la redéfinition d’une stratégie d’approche pour « Accélérer l’Accès à l’Energie pour les Pauvres en Afrique au Milieu de Crises Multiples ». Dans les lignes qui suivent, est dépeint un succinct état des lieux des avancées enregistrées dans le secteur avec exposé des préalables à observer pour un accès accéléré des masses rurales à l’énergie.
Des progrès déjà palpables mais encore insuffisants
Trois mois passés, à Bonga Yasa, à Yasa et Bwala Yulu dans le territoire de Masimanimba, la vie s’organisait avec les fortes contraintes inhérentes au manque de l’électricité : un grand hôpital de référence de la place qui ne savait fonctionner à plein régime faute de l’énergie, absence des moulins, la carence en eau potable,
des institutions scolaires et académiques handicapés, etc. Pourtant, il a fallu que l’ANSER y installe une série de micro centrales photovoltaïques pour corriger en un clin d’œil les défis auxquels cette population faisait face depuis des lustres. Une fois l’accès à l’électricité garantie, sa commercialisation au coût réel ouvre une
autre boite à pandore tant la pauvreté ambiante fait vivre beaucoup avec moins de 2 USD par jour avec la possibilité de n’affecter que 5 USD mensuellement aux dépenses énergétiques.
Par le truchement de l’ANSER, le Gouvernement de la RDC a fait montre d’audace et d’une volonté politique manifeste, comme jamais auparavant, au point d’être à la manœuvre comme l’instigateur du changement dans le secteur énergétique. La création suivie de la capitalisation du Fonds Mwinda, fonds de subside pour l’accélération de l’accès à l’énergie en milieux rural et périurbain en est une preuve. Ce fonds sait intervenir au profit des ménages des cités du
territoire de Masimanimba susmentionnées pour doper leur pouvoir d’achat de l’électricité.
En faveur de l’accès des communautés rurales aux solutions solaires, le Fonds Mwinda, dans sa phase de recherche a permis à environ 3 000 ménages d’en découdre avec la précarité énergétique. Dans sa phase intermédiaire pour laquelle les appels d’offres ont déjà été publiés et les opérateurs dument sélectionnés, ce n’est pas moins d’un demi-million d’individus qui accèderont à l’électricité dans le Congo profond. C’est dire que l’opérationnalisation de l’ANSER au titre des
mesures d’accompagnement de la libéralisation du secteur de l’électricité a donné des ailes à la volonté de l’Etat Congolais de résorber la question de l’accès des communautés rurales à l’électricité.
S’agissant de la planification de ladite électrification rurale, un recueil de Plans Locaux d’Electrification est désormais disponible, de même qu’un Programme d’Intervention prioritaires regroupant des projets matures. Pour illustrer davantage le niveau inédit d’implication de l’Etat Congolais, l’ANSER s’est vu doter des moyens conséquents pour réaliser des projets d’urgence d’électrification
rurale voyant au passage son budget passer d’à peine quelques milliers de USD à des millions. A l’heure actuelle, la volonté politique requise pour le changement de narratif dans le secteur de l’électricité est bel et bien là. Et il s’ensuit déjà quelques progrès mais aux vues de l’immensité du pays et de la complexité du défi,
notre réponse devrait s’avérer plus stratégique et concertée avec toutes les parties prenantes et partenaires techniques et financiers de l’écosystème énergétique.
Une coupe d’obstacles à l’électrification rurale à vider : les desiderata du secteur privé
Comme nation, les lacunes enregistrées dans la promotion des investissements en faveur d’un accès élargi à l’électricité produisent des effets d’entrainement négatif dans l’atteinte de plusieurs autres Objectifs du Développement Durable (ODD). Le groupe de la Banque Mondiale et du Fonds Mondial International ont placé cette question au cœur de leur rencontre annuelle de 2022 tenue du 10 au 15 octobre à Washington DC.
Au cours des échanges, le secteur privé a mis en évidence les nombreux défis rencontrés sur terrain pour atteindre les plus pauvres des pauvres. Parmi ces défis:
(1) L’augmentation des prix de composantes de base pour les solutions solaires depuis la survenance de la pandémie a Covid-19 et les mesures drastiques prises par la Chine ;
(2) L’enclavement de ces zones rendant les coûts logistiques plus lourds et donc les prix de vente plus chers ;
(3) La pauvreté de la population concernée rendant ainsi leurs demandes non solvables et les niveaux des risques très élevés ;
(4) Des réglementations parfois trop contraignantes difficiles d’attirer le secteur privé;
(5) Le faible niveau d’aides financières de la part de différents partenaires au développement pour aider à réduire les niveaux des risques encourus par la desserte des zones rurales pauvres et enclavées ainsi que celles en proie à des conflits de diverses natures.
Ce sont là autant d’obstacles identifiés qu’il faille lever en guise des préalables à une véritable accélération de l’accès à l’énergie au Congo tout comme en Afrique.
Des préalables à l’accélération et au passage à grande échelle de l’électrification des milieux rural et péri-urbain
Forte de son expérience de terrain et après avoir capté les desideratas du secteur privé, l’ANSER, lors de son intervention au 2022 annual meeting des institutions de Breton Woods, a établi son diagnostic et étalé des éléments constitutifs des préalables à observer pour une effective accélération de l’électrification rurale du Congo dans le contexte libéralisé de son secteur de l’électricité en considérant le moyen et le long terme.
Eléments du diagnostic du secteur à l’heure actuelle
Un leadership actif de la part du gouvernement
A la différence des autres réformes entreprises sans résultats probants, la réforme engagée sur l’électricité est considérée comme l’une de plus ambitieuses de la RDC. Elle est celle où le Gouvernement s’illustre en champion avec la mise en place de l’ANSER et les appuis lui apportés. Comme jamais auparavant, l’Etat Congolais agit, en premier instigateur du changement de narratif dans le secteur, en investissant dans la capitalisation du Fonds Mwinda et dans bon nombre
de projets actuels en lien avec l’électrification rurale.
Le secteur privé, premier bénéficiaire de la libéralisation
En menant la danse de l’électrification rurale, le Gouvernement congolais vise à débloquer les investissements privés car, très conscient du fait que le développement du secteur de l’électrification rurale/péri-urbaine, par nature hors réseau, est assez complexe. Outre les questions structurelles qui plombent le monde rural, l’électrification rurale présente des risques très élevés liés à la demande. Les financements privés sont toujours limités du fait souvent
de la taille, peu critique, du marché (des mini, voire nano réseaux – entre 10 et 100 kw -) souvent en dessous des seuils minima d’emprunt
(sur les marchés des capitaux). Eléments des préalables à l’électrification accélérée à l’heure de la libéralisation.
Renforcer le pouvoir d’achat des ménages pour sécuriser une demande solvable
Pour ce faire, une conjugaison d’approches doit donc être déployée pour attirer les investisseurs privés :
Primo, des subventions, en ciblant les usagers vulnérables dans les zones reculées. Le Fonds Mwinda montre déjà un certain succès pour inciter les entreprises à entrer sur de nouveaux marchés.
Secundo, des mécanismes de couverture pour diminuer les risques des investisseurs et faciliter la mobilisation de dette et d’equity dans les projets de mini-réseaux sont indispensables. Cela peut passer par de nouveaux fonds de garantie ou des mécanismes plus innovants permettant, par exemple, de garantir un revenu minimum au développeur de mini-réseau pour le prémunir contre le risque d’une demande insuffisante.
L’Energie comme catalyseur du développement
Cependant, ces mécanismes doivent être structurés et adaptés aux marchés locaux. Ils doivent permettre d’accompagner plus de projets. Au-delà de l’accès à l’électricité, ils doivent encourager le développement socio-économique des régions en crise. C’est cela même la perspective de la RDC qui vient de lancer un vaste programme de Développement Local, le PDL_#145 territoires. Les appuis des
partenaires devraient pouvoir accompagner cette approche décloisonnée en facilitant les financements et le dialogue entre secteurs (par exemple des programmes joints agriculture – énergie – routes). Les partenaires au développement devraient, de ce fait, faire preuve d’audace dans leurs approches en déployant des outils flexibles et réactifs, en mettant en place des procédures accélérées, considérant l’urgence de la situation dans ces territoires en crise.
Nos attentes à l’endroit de la Banque Mondiale, du FMI et autres partenaires L’audace : autant nous avons, au niveau du Gouvernement, pris les taureaux par les cornes, autant nous attendons de nos partenaires une nouvelle approche d’appui qui devra s’appuyer sur les axes suivants :
Mobilisation des financements privés plus importants, à la hauteur des défis à relever
Jusqu’à présent, il y a plus de promesses d’argent que leur décaissements (ou réalisations des promesses). Si les besoins se chiffrent aujourd’hui en de dizaines de milliards de USD, on ne peut pas régler cette question avec simplement les quelques millions usd souscrits aujourd’hui. Il faut plus d’ambitions en termes
d’engagements financiers. Renforcer nos instruments d’incitation financière (Subsides aux bénéficiaires finaux, le Fonds Mwinda, mais dans une approche
innovante RBF mais qui intègre les surcoûts pour permettre aux opérateurs d’affronter les défis logistiques et sécuritaires (dans les zones rurales enclavées et en proie à des conflits). A ceci, devrait être joint le fonds de garantie, car les subsides aux usagers finaux ne sont pas suffisants (à entendre les entreprises);
Utiliser les instruments nationaux mis en place par les gouvernements, tel que l’ANSER,
– Plutôt que de continuer à créer des structures parallèles (appelées : Unités de gestion), il faut y investir tous les appuis nécessaires (capacités);
– Simplifier les procédures en les adaptant à la situation de fragilité qui caractérisent ces zones (on ne peut pas exiger les mêlées du diligence pour la construction d’une mini centrale hydroélectrique de 300 MW que pour pour la mise en place d’une centaine de micro/réseaux à base du solaire dans les zones rurales enclavées, pauvres et en proie à des conflits armés;
– soutenir l’approche intégrée et multi-sectoriel promue par le Programme de Développement à la base -145 Territoires, approche bottom-up qui permet d’intégrer l’énergie dans une stratégie cohérente du développement.
Le programme de développement local le PDL 145 Territoires est une très bonne initiative qui mérite le soutien de tous les partenaires. ANSER qui a la charge de piloter le volet « accès à l’électricité » de ce vaste programme veillera à ce que l’électricité s’intègre de la bonne manière dans les stratégies locales (PDP, Plan de Développement Provincial et plans de développement au niveau de différents territoires). Des programmes couplés tels
Agriculture-électricité-désenclavement ou pistes de dessertes rurales seront le mode d’opération de la réponse « accès à l’électricité » dans les zones et territoires où interviendra le programme de 145 territoires.
Conclusion
Pour tout dire, l’accélération de l’électricité dans les milieux récalcitrants aux approches conventionnelles nécessite une grande ouverture d’esprit et une approche innovante sur fond de la collaboration entre le gouvernement, les investisseurs et les partenaires techniques et financiers. Pour atteindre les ODD dans les délais que nous nous sommes fixés globalement, chacun de ces acteurs
doit prendre en compte les difficultés que nous avons de reproduire des solutions toutes faites et se préparer à vivre les conseils que nous prônons : Think Global, Act Local ! Idesbald CHINAMULA
Directeur Général,ANSER