Procès 100 jours : l’acquittement difficile à faire valider pour Kamerhe

La fin du procès Kamerhe dit «Affaire 100 jours» va de report en
report. Attendu le 16 juin après que l’affaire a été prise en délibéré
14 jours avant, soit le 02 juin, le prononcé a été renvoyé au 21 juin.
Il a connu un autre report. Un troisième rendez-vous est donc pris
pour ce samedi 25 juin. Ces reports dénotent du non accommodement
entre la justice et le politique. Les arguments de la défense sont
tellement faibles pour arriver à faire valider l’acquittement de Vital
Kamerhe, trahis par le cours du procès radio-télévisé au 1er degré où
les anciens ministres Pierre Kangudia, Henry Yav Mulang, Thomas Luhaka
et Justin Bitakwira, voire l’ancien Gouverneur de la BCC Déogracias
Mutombo, l’avaient cloué au pilori.
Après avoir été condamné à 20 ans de travaux forcés au premier degré
(20/06/2020), peine remise de 7 ans au 2ème degré (16/06/2021), Vital
Kamerhe avait formé un pourvoi en cassation à l’effet de solliciter
l’annulation de la décision du juge d’appel. A sa demande, il va
bénéficier d’une mise en liberté provisoire (06/12/2021) et, début
janvier 2022 (03/01/2022), il a posé ses valises à Paris pour des
soins médicaux appropriés.
Cette liberté provisoire était assortie d’un cautionnement de USD 500
mille. D’autres conditions l’entouraient, notamment, être discret et
ne pas afficher un comportement à même de troubler l’ordre public, ne
pas se retrouver aux postes frontières (gares, ports et aéroports),
assignation à sa résidence de la Gombe, interdiction de quitter la
ville de Kinshasa sans l’autorisation du Procureur Général près la
Cour de Cassation, et en cas d’autorisation, celle-ci ne peut excéder
une durée de 30 jours.
Ces mesures étaient jugée par d’aucuns non conforme à la conscience
du moment en phase avec la politique anti-criminelle en vigueur en RDC
sous le nouveau régime, politique portée vers la lutte sans ambages
contre les délits financiers sous toutes leurs coutures. Il s’ensuivit
un vif tollé dans l’opinion au point de remettre en cause tous les
efforts entrepris jusque-là par la justice, taxée, à tort ou à
raison, d’être sous la botte du pouvoir. Malgré les apparences, cette
procédure était légale.
En effet, l’article 47 de la Loi organique relative à la procédure
devant la Cour de Cassation du 13 février 2013 est sans équivoque. Le
législateur congolais, bien que ne consacrant pas un troisième degré
de juridiction, a voulu que le délai et l’exercice du pourvoi soient
suspensifs de l’exécution à l’égard de toutes les parties et que le
juge de cette haute juridiction se prononce valablement sur une
requête de mise en liberté provisoire concomitante audit pourvoi.
C’est sur base de cette disposition que le juge de cassation avait
accordé la liberté provisoire au condamné Vital Kamerhe en date du 06
décembre 2021 pour des raisons humanitaires, compte tenu de son état
de santé jugé préoccupant. C’est un choix qui paraissait aberrant,
mais il n’en reste pas moins que c’est très clairement consacré par la
loi précitée.
A la suite de cette mesure, l’ancien directeur du Cabinet du chef de
l’Etat a quitté la prison, mais il n’a pas été acquitté. La Cour de
Cassation, en sa qualité de juge du droit, de la forme et de la
procédure, était appelée à se prononcer par arrêt sur la décision du
juge d’appel, accusé par la partie défenderesse d’avoir enfreint ses
droits.
Quatre mois après la mise en liberté provisoire de Vital Kamerhe, la
Cour de Cassation déclarera, dans une audience publique tenue le 11
avril 2022, son pourvoi en cassation recevable et fondé. Elle avait
estimé que «le juge d’appel avait violé le droit de la défense en
rendant la sentence, alors que l’affaire n’était pas en état d’être
jugée». Par conséquent, l’arrêt rendu en appel le condamnant à 13 ans
de prison pour détournement des deniers publics a été annulé et la
cause renvoyée à la Cour d’appel de Kinshasa-Gombe, autrement
composée.

Les faibles arguments
de la défense

L’annulation de la décision en appel ne signifiait pas pour autant
que les rideaux étaient tirés sur l’affaire Kamerhe. La décision du
premier juge demeurait, même si elle ne pouvait pas être exécutée du
fait de l’appel. Il appartenait donc à l’ancien directeur de Cabinet
du chef de l’Etat, par ses avocats interposés, d’apporter des éléments
nouveaux susceptibles de l’innocenter.
Effectivement, le procès Kamerhe a repris le 02 juin 2022 à la Cour
d’appel de Kinshasa/Gombe, devant une nouvelle composition. Débobinant
quasiment leurs positions antérieures, le Ministère public et la
partie civile ont vu leurs tâches facilitées par la partie
défenderesse, qui s’est révélée non à la hauteur, de par ses arguments
poussiéreux.
En effet, la partie défenderesse a plaidé pour la relaxe pure et
simple de l’ancien directeur de Cabinet du chef de l’Etat. Selon elle,
aucune preuve n’a été apportée pour démontrer que celui-ci avait perçu
les fonds détournés. En conséquence, l’absence des preuves faisait
tomber ipso facto l’accusation de blanchiment d’argent. Tout comme
l’inexistence d’un accord entre lui et le Libanais Samih Jammal
concourt au rejet de l’infraction de corruption retenue à sa charge.
Bien plus, les avocats du président national de l’UNC ont soutenu que
leur client n’était pas directeur de Cabinet du chef de l’Etat au
moment de l’attribution du marché de construction des maisons
préfabriquées à la société SAMIBO. Dans ce cas, l’ancien ministre du
Développement Rural, Justin Bitakwira, est la seule personne à juger
dans cette affaire. C’est lui qui doit être considéré comme un
corrompu.
Aussitôt après le réquisitoire du Ministère public et les plaidoiries
des parties, l’affaire a été prise en délibéré et le prononcé du
verdict fixé au 16 juin. Suite à l’ordonnance N°002/2022 du Premier
Président de la Cour d’appel de Kinshasa/Gombe, le prononcé a été
renvoyé au 21 juin. Il s’en est suivi un deuxième renvoi au 25 juin.

Des arguments faibles

La plaidoirie s’est révélée un exercice, somme toute, difficile pour
la défense. Primo : au regard de la stratégie de dénégation utilisée
par Vital Kamerhe à l’endroit de son coaccusé, Samih Jammal, stratégie
qui avait montré ses limites au premier degré. En effet, l’ancien
directeur de Cabinet du chef de l’Etat avait déclaré, la main sur le
cœur, qu’il n’avait jamais vu de sa vie l’octogénaire Libanais, même
en rêve. Mais avec la déposition de l’ancien ministre du Budget,
Pierre Kangudia, qui a affirmé avoir vu Samih Jammal dans la salle
d’attente de Vital Kamerhe, celui-ci avait fini par reconnaitre
l’avoir reçu pour deux ou trois minutes avant de l’aiguiller vers ses
conseillers. Est-il besoin de rappeler qu’il avait déclaré aussi
n’avoir jamais vu Jeannot Muhima, le préposé au dédouanement à la
Présidence de la République, qui avait reçu, sur son instruction, plus
d’un million de dollars américains pour aller dédouaner des effets
afférents aux maisons préfabriquées en Tanzanie ?
Secundo : les dépositions des anciens ministres Henri Yav Mulang
(Finances), Thomas Luhaka (Urbanisme et Habitat) et Pierre Kangudia
(Budget), voire l’ancien Gouverneur de la BCC, Déogracias Mutombo,
cités à comparaître par l’accusé lui-même, se sont avérées des
témoignages poignants à sa charge. Il ne les a pas niées à la barre.
Tous ces témoins ont fait savoir devant l’instance qu’ils n’avaient
jamais participé à une réunion où il était question des maisons
préfabriquées. Ce sont plutôt, notamment, les sauts-de-mouton qui
étaient au menu de deux ou trois réunions auxquelles ils avaient pris
part à la Présidence de la République. C’est pour la toute première
fois, lors du procès, qu’ils ont appris qu’ils étaient membres de la
Commission chargée de superviser les travaux de 100 jours et de
sélectionner les entreprises pour leur exécution.
Si Pierre Kagundia a laissé entendre que la première tranche de 37
millions USD n’avait pas suivi la chaîne des dépenses et les documents
y relatifs lui sont revenus après pour régularisation, Henri Yav
Mulang a, quant à lui, crevé l’abcès. Il était formel : «C’est sur
base de la lettre du directeur de Cabinet du chef de l’Etat, assortie
d’un plan de décaissement et requérant le mode d’urgence, que j’ai
ordonné tous ces paiements». Et de souligner : «Le caractère urgent
était tel que, il fallait, au besoin, toucher aux réserves de change
évaluées en son temps à trois semaines d’importations». Ce qu’il
avait, de commun accord avec le Gouverneur de la BCC, déconseillé afin
d’éviter d’éventuels dérapages. Faute de trésorerie, il avait suggéré
le recours aux avances sur impôts auprès de certains opérateurs
économiques. En définitive, une somme avait été prélevée sur les
réserves de change, en complément aux ressources du Trésor pour
procéder au paiement de SAMIBO à son compte logé à ECOBANK et non à
RAWBANK.
Pour sa part, l’ancien Gouverneur de la BCC, Déogracias Mutombo,
avait éclairé la religion du Tribunal sur la licence d’importation des
biens (ID). Dans le cas d’espèce, seule la somme de 12 millions USD,
sur les 57,5 millions de dollars perçus par SAMIBO, était retracée sur
base de l’ID, dont la BCC avait donné des détails au Tribunal. Il en
est résulté que seuls 8,5 millions USD ont été réellement transférés
par voie bancaire sur les 12 millions souscrits. Ce qui fit peser des
soupçons de surfacturation sur les prévenus Kamerhe et Jammal et
l’infraction de blanchiment d’argent sur ce dernier ; certains
montants en termes de millions de dollars ayant été transférés
frauduleusement au Liban.
Tertio : la déposition de Michel Ngongo, DG a.i. de la DGCMP
(Direction Générale de Contrôle des Marchés Publics), corroborant les
propos de l’ancien ministre Bitakwira, qui n’avait décaissé aucun sous
pour le marché des premières 1500 maisons, bien qu’il soit signataire
du contrat initial, aura été également accablante pour Vital Kamerhe.
A l’en croire, l’avenant au contrat initial de 26 millions USD (sous
Bitakwira) qui était passé à 57,7 millions USD (sous l’influence
Kamerhe), n’ayant pas été validé, l’avis de non objection n’ayant pas
non plus été émis, il va de soi que le contrat de 1500 maisons était
inexistant. Paradoxalement, l’entièreté du montant, soit 57, 7
millions USD, avait été décaissée avant même que les travaux puissent
commencer. Sans contrat avec la société HUSMAL pour les 3000 maisons
supplémentaires pour le même montant de 57,7 millions USD, l’ancien
directeur de Cabinet du chef de l’Etat avait ordonné le paiement de
30%, dont le ministre des Finances n’avait payé que 2,3 millions USD,
du reste non tracés. Il est à noter que la société HUSMAL, deuxième
société appartenant à Samih Jammal, avait été recommandée à la DGCMP
par Vital Kamerhe, qui n’avait pas tari d’éloges à son endroit.
Quarto : il avait été relevé un double emploi à travers l’exonération
douanière dont SAMIBO était bénéficiaire, en vertu d’une décision du
ministre des Finances prise consécutivement à la requête du prévenu
Kamerhe. En effet, malgré le fait que le contrat de fourniture de 1500
maisons n’avait pas été régulièrement conclu et que l’avenant y
relatif n’avait jamais non plus reçu l’avis de non objection de la
DGCMP, son article 6 mettait à charge du prestataire tous les frais
afférents à la parfaite exécution du marché. Donc, les frais de douane
exonérés étaient censés être inclus dans la somme de USD 57,5 millions
payée, sans soubassement juridique, au Libanais sur ordre du directeur
de Cabinet du chef de l’Etat.

Difficile manœuvre pour faire acquitter Vital Kamerhe

De l’avis du Ministère public au premier degré, les fonds publics
avaient été décaissés sans soubassement, sur ordre du directeur de
Cabinet du chef de l’Etat. Il s’en prévalut pour soutenir que «la
volonté du prévenu de violer systématiquement la procédure en vigueur
sur la passation des marchés publics est l’une des preuves suffisantes
de son intention frauduleuse de détourner les frais de l’Etat». Faute
d’éléments nouveaux apportés par la défense, le dispositif, quelque
peu corsé, avait été reconduit au 2ème degré. Il en est de même après
la décision du juge de la Cassation.
Au 1er comme au 2ème degrés – sur base des témoignages non contredits
des anciens ministres Justin Bitakwira, Pierre Kangudia, Thomas
Luhaka, Yav Mulang, du Gouverneur de la BCC, l’instance avait établi
Vital Kamerhe comme seul superviseur et ordonnateur dans le cadre du
Programme des 100 jours.
En outre, elle avait récriminé sur sa personnalité et sa moralité,
relevant qu’il en était arrivé même à contraindre le ministre des
Finances à toucher aux réserves de change, avec ce que cela avait eu
comme répercussions sur l’économie nationale. Cette ligne n’a pas non
plus changé avec ce double appel.
Contrairement donc à la démarche de la défense, il n’est pas vraiment
question dans cette affaire de produire des preuves attestant la
perception par Vital Kamerhe des fonds détournés, mais plutôt de
démontrer que ses faits et gestes en rapport avec ce dossier l’ont été
en conformité avec la loi sur la passation des marchés publics en RDC
et qu’il n’a pas usé de trafics d’influence au vu de sa position à
l’époque. C’est cela le hic qui fait balancer la justice, obligée
d’aller de report en report, parce qu’en situation de ne pas
s’accommoder avec le politique.
D’où la difficulté de faire valider l’acquittement de l’ancien
directeur de Cabinet du chef de l’Etat, trahi par la diffusion
radiotélévisée de ce procès. Tout le monde a suivi en live ce qui lui
est reproché, malgré les spéculations de ses partisans. C’est pourquoi
Me Georges Kapiamba, responsable de l’ONG ACAJ, a appelé la justice à
être imperméable à toute pression et à ne dire que le droit et rien
que le droit.

(Moïse Musangana)

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