Elections en RDC : 62 ans après Patrice Emery Lumumba, l’art de bluffer un peuple

Depuis 2006, en passant par 2011 et enfin 2018, le peuple congolais a toujours été berné lors de nombreux épisodes d’une saga électorale tragicomique, aux conséquences désastreuses pour la nation tout entière. En effet, durant toutes ces années, les hommes politiques au pouvoir comme dans l’opposition, ont transformé l’espace électoral en espace théâtral qui, progressivement, a fini par présenter les élections comme un outil douteux de soutien à la démocratie.
Au fil des années électorales, notre peuple assiste à la même
distraction faite de scènes pittoresques qui nous laissent tous
pantois. Les acteurs politiques n’y vont pas de mains mortes. Chaque
année, avant, pendant et après les élections, ils excellent en tours
de passe- passe, en ruses, en manipulations, en actes loufoques et
autres astuces qui, en définitive, ont fini par remettre en question
le bien-fondé des élections dans une démocratie. Aux hommes et femmes
des médias de faire circuler des micros baladeurs à travers le pays
pour se rendre compte du désarroi des électeurs et électrices
congolais.
Aujourd’hui, nos élections n’inspirent que dégoût car, à chaque
épisode, elles sont animées par des acteurs et actrices qui se
comportent presque tous comme des mystificateurs avides de pouvoir,
dans le seul primordial souci d’accéder à l’avoir et au valoir.

A travers le pays, notre peuple est médusé et se demande s’il faut
encore croire aux élections et à tous ceux qui les organisent !
Certains parmi nous vont même jusqu’à conclure qu’il ne sert à rien de
participer aux élections, car tout est bipé d’avance.
Pareille attitude est une erreur fondamentale que nous commettons
d’années en années, réduisant notre taux de participation électorale
en peau de chagrin, abandonnant ainsi notre terre à la merci des «
gentibus » du monde néolibéral, des prédateurs qui ne souhaitent
qu’une seule chose : avoir les mains libres pour jouer aux Léopold II
des temps modernes à travers des intermédiaires nationaux et
sous-régionaux.
Pour ceux d’entre nous qui ne le réalisent pas encore, ce qui se
passe à l’Est de notre pays n’est qu’annonciateur d’une ère où on ne
nous coupera plus les mains, mais où on nous ôte simplement la vie
avec l’agréement de nos « élus » d’hier et d’aujourd’hui, tous
signataires successifs et intéressés d’accords qui sacrifient des vies
humaines parce que construits sur les fonts baptismaux d’une paix sans
justice !
S’il est vrai que nous sommes conscients du danger d’un éventuel
boycott des élections sur lequel nous ne sommes pas encore capables de
nous entendre tous en tant que peuple organisé et structuré ; il est
aussi vrai que nous sommes en droit de nous poser de sérieuses
questions sur la capacité et surtout la volonté politique d’un Etat
chaotique comme le nôtre d’organiser des élections libres,
transparentes et apaisées sur notre terre.
En effet, un Etat qui a érigé le chaos comme mode de gouvernance ne
peut ni promouvoir la démocratie, ni encore moins organiser de bonnes
élections. Ici, tout est façade si pas fiction et faction, en
commençant par la démocratie qui a élu domicile chez nous ; une
démocratie politique, faite d’élections truquées et tronquées, d’élus
illégitimes qui n’ont pour assurance que l’arrogance de leurs
ignorances, d’institutions faibles et réduites en espace théâtral,
etc. Dans pareil Etat chaotique, un Far West sans Shérif, c’est le
règne des hommes forts et non d’institutions fortes sur fond d’un
pouvoir patriarcal préoccupé par le pouvoir comme instrument d’accès à
l’argent et aux honneurs.
Dans ce contexte, avec des partis politiques sans démocrates, les
élections ne servent qu’à créer le simulacre d’une démocratie
participative en donnant au peuple l’illusion de devenir « souverain
primaire », juste le temps de déposer naïvement son bulletin de vote
dans l’urne, en attendant la proclamation de résultats qui ne seront
jamais conformes à la vérité des urnes. C’est alors qu’interviennent
les missions internationales et locales d’observation électorale pour
clore nos ébats électoraux avec la désormais consacrée anecdote : «
les élections ont étés entachées de fraudes massives mais celles-ci
n’ont en rien altérer les résultats ».
L’artifice électoral dans une démocratie de façade finit ainsi par
donner naissance à des institutions mirages, des hémicycles caisses de
résonnance où leurres et heurts s’offrent en spectacle. C’est dans
ces cadres que l’on orchestre l’avant, le pendant et l’après des
élections, en boutiquant la loi électorale ainsi que celle qui lance
le « go » de la restructuration de la CENI.

Avant les élections

Depuis 2006, le scénario est resté le même, immuable :
• Désignation du Président de la CENI lors d’une élection folklorique
à laquelle sont conviées les confessions religieuses. Comme dans les
assemblées provinciales, les futurs gouverneurs ainsi que le futur
Président de la CENI sont désignés par le clan de l’autorité morale au
pouvoir et entérinés par les députés provinciaux ou les chefs des
confessions religieuses, moyennant des pièces sonnantes et «
raisonnantes » ou « des dons en argent », pour faire plus spirituel.
• Elaboration d’une loi électorale taillée sur mesure qui, à chaque
occasion, montre à notre peuple le vrai visage de ceux et celles qui
sollicitent ses voix. La loi électorale est devenue le cadre par
excellence d’aménagements opportunistes qui, sans gêne, préparent la
fraude électorale avec des métaphores qui créent l’illusion d’une
volonté de bien faire les choses :
• Elections présidentielles à deux tours hier et à un tour
aujourd’hui, sans compter le tour final devant les cours et tribunaux
• Introduction du seuil électoral vite abandonné au profit d’un
parrainage des partis politiques au contour nébuleux
• Liste paritaire avec pour gain le non-paiement de la caution
permettant sans doute aux grands partis disposant de gros moyens
financiers de se passer de nos consœurs sur leurs listes électorales
• L’absence de contraintes légales pour sévir contre la corruption
avant, pendant et après les élections
• Le refus des législateurs d’interdire toute candidature ayant comme
suppléant des épouses, des fils et des filles, des cousins et cousines
afin d’éviter que des provinces entières soient sous le contrôle d’une
seule famille.
• Des aménagements souvent non consensuels de la loi électorale
• Main basse sur la Cour constitutionnelle et d’autres cours où se
règlent les litiges électoraux. Il est question de placer les fidèles
des fidèles pour être à l’abri de toute surprise lors de la
proclamation des résultats. C’est une question de vie ou de mort pour
ceux qui sont au pouvoir et veulent garder le contrôle de tout ce
processus.
• Droit de regard sur la cartographie des sites électoraux, avec
l’expertise et surtout la complicité d’une CENI qui veillera, dans cet
exercice d’équilibriste, à se doter d’un look crédible et sérieux,
tout en répondant avec fidélité aux désidératas des politiques au
pouvoir. La cartographie des sites électoraux devient une œuvre d’art
atypique que l’on réalise avec délicatesse en veillant à ce que, dans
toutes les circonscriptions, les bureaux soient plus nombreux et
accessibles sur les sites où l’électorat est favorable aux candidats
du clan au pouvoir. Dans les sites hostiles, le maître d’œuvre CENI
s’organisera pour réduire le nombre des sites et si nécessaire, les
placer à des endroits inaccessibles. Les élections se réalisant, comme
par hasard, pendant la saison des pluies, la CENI veillera à placer
certains bureaux de vote au-delà des cours d’eau que l’on traverse à
pied pendant la saison sèche mais qui, en saison de pluie, se
transforment en rivières torrentielles, de réelles barrières pour ceux
et celles qui ne rassurent pas par leurs votes.
• L’enrôlement des électeurs et électrices est un moment crucial qui
va permettre, sur base de données démographiques souvent fantaisistes
et selon les besoins, de gonfler ou réduire les électeurs et
électrices dans les zones favorables ou défavorables aux candidats du
pouvoir en place. C’est ici que la CENI s’attèlera à enregistrer les
enfants en déça de l’âge requis pour le vote, sans oublier les agents
de l’ordre, les personnes décédées, disparues et les étrangers, dont
on aura au préalable favorisé le séjour en terre congolaise lors des
périodes d’infiltrations que sont censées favoriser les sales guerres,
des conflits coûteux en vies humaines dans certaines parties du pays.
• Pour faire correct, la CENI invitera la population à vérifier les
listes au moment de l’affichage hâtif de celles-ci devant les bureaux
de vote. Cette opération purement formelle et fantaisiste se réalisera
dans la précipitation et le cafouillage avec la certitude que les
électeurs et électrices qui, en milieux urbains ou ruraux, vivent au
jour le jour, ne se donneront pas la peine de venir vérifier ces
listes ni de les remettre en question. Et si, par hasard, certains
scrupuleux venaient à relever des anomalies, la CENI ne disposera pas
de temps matériel pour revisiter ces listes. C’est souvent à ce moment
que la CENI insistera, non sans humour, sur le respect strict du
calendrier électoral.
• Les sempiternels problèmes de logistique, de commande, livraison et
acheminement du matériel de vote sont aussi un cauchemar qui favorise
la fraude électorale avec des coins du pays qui ne reçoivent pas le
matériel à temps où le réceptionnent en retard sans compter dans quel
état arrivent certaines composantes de ces équipements. Des groupes
électrogènes non en état de fonctionner ou sans carburant ; des
machines à voter qui font un détour dans des fermes ou autres
résidences privées des candidats avant d’atterrir comme « machines à
voler » sur les sites de vote ; des agents résidants loin des sites de
votes et sans moyens adéquats pour les atteindre à temps, des
imprimantes à cours de papiers et d’encre, etc.
• Le chaos d’avant les élections est organisé dans un calme sidérant
qu’affichent les membres de la CENI, qui, comme les hôtesses de l’air
de nos avions en détresse, sont porteurs d’un discours rassurant
jusqu’au dernier moment du crash électoral qui nous emportera tous.
Ils seront relayés par les partenaires internationaux et nationaux,
prisonniers du piège du business électoral. Tous s’engageront dans le
processus comme si tout se déroulait chez Alice, au pays des
merveilles. Pour ces acteurs qui, depuis trois cycles électoraux, ont
eu le beau rôle de se déclarer volontairement impuissants face à la
fraude électorale, en se limitant au rôle qu’ils se sont, à dessin,
attribués, les problèmes que rencontrent les électeurs et électrices
congolais sont minimisés et surtout ne les concernent pas.
En effet, au Congo, contrairement à ce qui se passe dans les pays de
vieille démocratie, « vaut mieux de mauvaises élections que pas
d’élections du tout ». C’est ce qui explique la ruée vers la CENI de
toutes ces organisations internationales spécialistes des questions
électorales. Sans coordination aucune entre elles et surtout selon les
intérêts de chaque pays et de chaque groupe, ils vont s’acharner à
gagner les juteux marchés qu’offre la CENI dans le cadre des contrats
gré à gré justifiés, semble-t-il, par l’urgence du calendrier
électoral. C’est l’occasion rêvée pour les affairistes du business
électoral qui, dans le cadre de la logistique, se livreront des
batailles sans merci et sans morts d’hommes pour s’arroger les marchés
de nouveaux véhicules, motos, machines à voter, urnes et isoloirs à
usage unique sur cette terre de bois, impression de bulletin de vote
de préférence en dehors du pays, ordinateurs pour enrôlement, groupes
électrogènes, panneaux solaires, locations hélicoptères et autres
barques motorisées pour la livraison de matériels dans de nombreux
sites inaccessibles par route, fournitures en carburants, etc. sans
oublier les vastes programmes d’éducation civique.
• Des heures de travail mais surtout des occases pour se faire du blé
plein les poches grâce aux nombreuses opérations de rétrocommissions
et autres pots de vin ! Le point culminant sera la mise en place des
fameuses équipes d’observations électorales qui, au fil des années,
ont perdu toute crédibilité aux yeux des Congolaises et Congolais.
• Dans cette euphorie d’avant les élections, il y a une stratégie
électorale qui me donne des frayeurs. Rien qu’à y songer, j’ai froid
au dos et tremble de tout mon corps. Les résurgences périodiques des
guerres à l’Est du pays, surtout en périodes pré-électorales, ne
sont-elles pas étrangement de cyniques et sadiques calculs de
politiciens en mal de conquête d’un électorat perdu ? En effet, ne
suffit-il pas, comme par magie, de faire taire soudainement les armes
pour apparaître comme un pacificateur et sauveur aux yeux d’une
population meurtrie par des années de souffrances et lui arracher des
voix ? Heureusement que notre peuple n’a pas si courte mémoire.
N’est-ce pas ce qu’il a vécu hier, juste au cours de la période
pré-électorale de 2006 lorsqu’il a vu cette guerre reprendre juste
après les élections pour perdurer jusqu’à ce jour ? Non ! Qu’on se le
dise : les victoires lors de la prochaine campagne électorale à l’Est
du pays ne s’obtiendront pas sur les dos mutilés de nos frères et
sœurs de cette partie du pays.
• Pour clore ce folklore d’avant les élections, les gouvernants se
dotent d’un discours du doute, de l’incertitude, qui n’a pour seul but
que de distraire et de bluffer les électeurs et électrices pour les
surprendre au moment où les élections auront lieu. En effet, alors que
l’on pense que ceux qui sont au pouvoir et ceux qui y aspirent ne sont
pas prêts, le peuple est surpris de les voir sortir leurs grandes
artilleries dès que le « go » est lancé par la CENI. L’art de la
distraction passe par des annonces et des nouvelles contradictoires.
Tout y passe pourvu que le peuple reste dans un désengagement total
qui doit friser le désintéressement. Qui ne se souvient pas de toutes
ces déclarations qui nous démobilisent tout au long du processus
électoral :
• Il ne sera pas possible d’organiser les élections dans le délai
constitutionnel
• Il faut au préalable organiser le recensement de la population
• L’OIF doit auditer le fichier électoral
• Sans accès au serveur central, il n’y aura pas d’élection
• Pour la CENI, il y a des préalables si pas des contraintes
• La CENI attend que le gouvernement décaisse l’argent alors que ce
dernier affirme détenir les preuves d’un décaissement régulier. Qui ne
dit pas la vérité?
• La Monuc ou Monusco ne pourra pas assurer la logistique
• Refus suivi de l’acceptation tardive de la machine à voter
• La livraison des bulletins de vote sera tardive parce que facture
réglée tardivement
• La fin de la guerre est prioritaire à l’organisation des élections
Nombreuses sont ces petites phrases assassines qui plongent la
population dans le doute qu’alimentent des discussions opium, une
drogue savamment inoculée à petites doses successives pour
désarticuler la population et l’empêcher de penser aux stratégies
appropriées pour réduire tant soit peu la fraude qui mine les
élections depuis 2006.

Pendant les élections
Ce qui est un chef-d’œuvre absolu dans cette mise en scène électorale
qui dure déjà depuis trois cycles et entre dans son quatrième, c’est
la qualité artistique et la minutie des actes posés durant la période
« pendant les élections ». Cette étape dure une journée. Une journée
mise en abyme de tout le processus qui doit aboutir à la manifestation
de la fraude électorale, pour le grand bonheur de ceux qui sont au
pouvoir et de quelques opposants qui complèteront la liste des heureux
élus pour faire propre et surtout démocratique. Durant cette journée
miroir microscopique tout y passe :
• Des bureaux de vote existant hier et qui cessent d’exister le jour
du vote, sous les regards médusés des électeurs et électrices
• Des noms d’électeurs et d’électrices qui ne figurent plus sur les
listes affichées devant certains bureaux de vote. Sans guides, ces
concitoyens et concitoyennes seront en errance dans différentes
circonscriptions jusqu’à ce que, fatigués et dégoûtés, ils renoncent à
leur droit de vote, laissant ainsi vierge de nombreux bulletins de
vote que des membres des bureaux inciviques rempliront pour eux, au
profit des candidats qui mettront la main à la poche pour gagner une
place à la mangeoire.
• Des agents qui arrivent tardivement dans les bureaux de vote et
favorisent le comptage des voix la nuit dans des bureaux sans
lumières, parce que dotés de groupes électrogènes sans carburant ou
encore de panneaux solaires sans batteries.
• Des témoins des partis politiques exclus des bureaux de vote
• Une machine à voter qui fait son retour dans le bureau au moment du
comptage des voix. Elle avait, semble-t-il connu une panne et
nécessitait des soins particuliers
• Des témoins à qui l’on refuse les PV des résultats par manque de
papier et d’encre pour l’imprimante si l’agent n’a pas tout simplement
oublié cette machine et les fournitures en quittant dans la
précipitation son gîte le matin pour le bureau de vote
• Des témoins ou agents officiels mal intentionnés qui s’improvisent
assistants des analphabètes, oubliant souvent qu’elles et ils ne sont
pas bêtes ! Des scènes rocambolesques avec bruits dans les isoloirs où
de vieilles personnes cachant soigneusement le numéro de leur candidat
dans la paume des mains surprennent ceux et celles qui prétendent les
aider
• Des fermetures de bureaux dans le strict respect des heures
prescrites par la loi électorale alors qu’ils ont étés ouverts à des
heures selon la volonté des responsables des bureaux. C’est le moment
de l’opération de grande envergure qui détermine les vainqueurs des
élections.
On commence par un comptage normal des voix pour connaître les
tendances. Ensuite, on compte les bulletins vides pour savoir comment
les répartir entre candidats du pouvoir et de l’opposition en bonne
position et qui auront surtout la main légère «loboko pete ». Ceux et
celles que les bureaux appellent « les apesa atala te » ; ceux qui
donnent abondamment sans se soucier de ce qu’ils donnent ! Dans la
démocratie de façade du Congo, c’est l’argent qui oriente les
résultats électoraux dans un sens ou l’autre et non les votes du
souverain dernier.
• Enorme est le moment du transport des bulletins et autres PV des
résultats vers les centres de compilation communément appelés «
centres de complication », ou encore « centres de falsification».
L’acheminement des résultats est une étape ubuesque avec, dans
certaines circonscriptions, des candidats qui offrent leurs véhicules
privés pour le transport des résultats avec une escale en route pour
se soulager et sans doute aussi, pour un ultime réglage des résultats.
Si nécessaire, on remplacera certaines urnes en se débarrassant de
celles qui gênent dans les cours d’eau «cimetières» de nos différentes
contrées. Ah si les rivières aux dimensions fleuves d’Europe comme la
Ndjili, Nsele, Lubilanji, Lualaba, Kwango, Kwilu, Lomami, Banalia,
Wamba, Bakali, Rubi, Kasai, Ruzizi, et autres pouvaient un jour livrer
les secrets électoraux que renferment leurs entrailles.
• Enfin, vient la proclamation des résultats bureau par bureau,
affirment les acteurs de la CENI. Mais la réalité est toute autre,
surtout à la périphérie de nos villes et dans les milieux ruraux, là
où les curieuses caméras des observateurs internationaux n’arriveront
pas. Et quand bien même on observerait des anomalies, les metteurs en
scène de ce fabuleux théâtre veilleront à ce que les conclusions ne
soient que l’expression d’une jeune démocratie vivante qui se cherche
encore.
Dans cette perspective, il faut accepter qu’en terre des bonobos, les
résultats soient proclamés dans un char de combat d’une mission des
Nations Unies. Il faut comprendre que ce soit une mission
d’observation électorale étrangère qui confirme la défaite du
victorieux opposant historique. Il faut tolérer que les résultats des
élections soient l’objet d’âpres négociations entre le Président
sortant et deux de ses successeurs jusqu’à en désigner un, sous
l’égide d’un puissant metteur en scène. Il faut pardonner que les
résultats soient proclamés avant que certains bureaux de vote n’aient
fini leurs comptages ni acheminé les plis dans les centres de «
complications ».
C’est dans cette circonstance qu’en 2018, la hiérarchie de l’église
catholique a été rappelée à l’ordre lorsqu’elle se trompera de
destinataire des résultats, en croyant trouver refuge et soutien dans
les chancelleries néocoloniales. Ces dernières, avec élégance et
délicatesse, calmeront la fougue du porte-parole de cette confession
religieuse et lui feront comprendre que le rôle de proclamer les
résultats revenait à la CENI et non à son église, quand bien même on
lui aurait confié la gestion des fonds de l’observation électorale.
Triste église que celle de Saint Pierre au Congo ; une église qui
s’acharne à ne pas vouloir comprendre que le pouvoir néo-libéral est
fatigué de la voir toujours présente et puissante dans l’espace
politique de ce vaste et riche pays. Ces puissances ne rateront pas
une seule occasion pour l’égratigner et la ridiculiser à chaque fois
qu’elle tentera de jouer un rôle au-delà de celui qu’on lui assignera.
L’église coloniale faisait ce que Léopold II lui demandait. Pas plus.
Il n’y avait pas de place pour un quelconque prophétisme !

Après les élections
La période post-électorale a toujours été une finale rocambolesque
faite de récits de contestations avec quelques rares succès pour ceux
et celles qui portent des recours devant les cours et tribunaux. Dans
ces espaces, tous les membres de l’appareil judiciaire, depuis le
ministre en passant par les magistrats, juges, avocats et autres
huissiers de justice, comprennent que les élections sont une chance
extra de faire fortune une fois tous les cinq ans. En effet, les
différents candidats et candidates avides d’argent et d’honneur sont
corvéables à souhait dans leur combat pour accéder à la table du
partage du gâteau national !
Dans ces espaces qui sont censés dire le droit, les candidats et
surtout le peuple qui les a élus se retrouvent orphelins de la
justice, car, ici, le faux devient vrai parce que jugé soudain utile
et donc beau. La dernière illustration en date n’est autre que celle
des toutes récentes élections de gouverneurs de province ! Vivement
2023 !
Au lendemain de chaque élection, notre pays se réveille avec un
parlement panthéon, constitué de députés élus, nommés, désignés par
les cours et tribunaux, cooptés, etc. Quel gâchis à chaque élection !
Quel désastre pour la démocratie ! Quel bonheur pour le système
néolibéral et sa démocratie de façade qui, pendant un nouveau mandat
de cinq ans, continueront à s’articuler autour des habituels compromis
et compromissions orchestrés par des acteurs et actrices politiques
qui acceptent de jouer aux marionnettes dans une pièce théâtrale dont
nul d’entre eux ne sera ni dramaturge, ni encore moins metteur en
scène !

Que faire alors ?
En effet, la grande question est de savoir ce que nous comptons faire
en tant que peuple pour déjouer le piège dans lequel les élections
nous enferment depuis trois cycles électoraux. Pour certains, les plus
pessimistes parmi nous, il faut baisser les bras, car le système qui
nous opprime semble trop fort. Il a des ramifications dans tout notre
corps social, sans compter les lobbies nationaux, internationaux et
régionaux. Il y a comme un sentiment d’incapacité à nous en sortir. On
s’en remet à un Dieu faiseur de miracles que célèbrent à temps et
contre-temps certains de nos hommes d’églises, des complices qui,
consciemment ou inconsciemment, participent à l’asservissement du
peuple souffrant du Congo.
L’impression générale pour ses frères et sœurs réduits à la passivité
est la fatigue et le désarroi de tous ceux qui, comme dans le mythe de
Sisyphe, ont roulé la pierre jusqu’au sommet de la colline et se
retrouvent à la fin de chaque élection en train de contempler la même
pierre rouler allègrement, comme par défi, jusqu’au bas de celle-ci.
Où trouver la force pour recommencer la corvée de la remontée ? Où
trouver les nouveaux bras lorsque les anciens sont meurtris pas les
efforts fournis antérieurement ? Où sont les mains qui pousseront
cette pierre lorsque celles dont nous disposons sont meurtries par des
ampoules couleur sang ? Quel discours mobilisateur peut à nouveau nous
convaincre, nous qui nous laissons tondre à chaque saison électorale
parce que devenus des brebis?
Comme la femme adultère, ce Congolais et cette Congolaise qui
désespèrent, je le suis aussi. Mais, je dois avouer que si je suis
capable d’analyser tout ce qui m’arrive avec autant de détails et de
précisions, c’est que je dois être capable de me sortir de ce
bourbier, surtout qu’à travers ce vaste pays, nous sommes nombreux à
faire le constat que nous venons de partager dans ces quelques lignes.
A tous ceux d’entre nous, toutes ethnies confondues, qui se sentent
vivement interpellés pour oser monter les stratégies contre la fraude
électorale, je n’ai qu’un seul message : « yes we can ».
Oui, nous pouvons et devons arriver à relever le défi de la vérité
des urnes dans toutes nos circonscriptions électorales lors des
prochaines élections. Un peuple qui, contre vents et marées, avec
autant d’abnégations et de sacrifices en vies humaines, a réussi en
2018 à imposer et sauvegarder sa Constitution ne peut plus reculer.
Les élections de 2023 seront une nouvelle étape dans notre volonté
commune de construire, dans la non-violence, une démocratie dont nos
fils et filles seront fiers demain.
Avec Dieu et nos ancêtres, nous aussi, nous vaincrons !
(Par Thierry Nlandu Mayamba, Professeur Ordinaire à la Faculté des
Lettres/Université de Kinshasa
Consultant en développement Organisationnel)

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