Depuis 2006 en passant par 2011 et enfin 2018, le peuple congolais a toujours été berné lors des nombreux épisodes d’une saga électorale tragicomique aux conséquences désastreuses pour la nation toute entière. En effet, durant toutes ces années, les hommes politiques au pouvoir comme dans l’opposition ont transformé l’espace électoral en espace théâtral qui, progressivement, a fini par présenter les élections comme un outil douteux de soutien à la démocratie.
Au fil des années électorales, notre peuple assiste à la même distraction faite de scènes pittoresques qui nous laissent tous pantois. Les acteurs politiques n’y vont pas de mains mortes. Chaque année, avant, pendant et après les élections, ils excellent en tours de passe- passe, en ruses, en manipulations, en actes loufoques et autres astuces qui, en définitive, ont fini par remettre en question le bien-fondé des élections dans une démocratie. Aux hommes et femmes des médias de faire circuler des micros baladeurs à travers le pays pour se rendre compte du désarroi des électeurs et électrices congolais.
Aujourd’hui, nos élections n’inspirent que dégoût car, à chaque épisode, elles sont animées par des acteurs et actrices qui se comportent presque tous comme des mystificateurs avides de pouvoir dans le seul et primordial souci d’accéder à l’avoir et au valoir.
A travers le pays notre peuple est médusé et se demande s’il faut encore croire aux élections et à tous ceux qui les organisent ! Certains parmi nous vont même jusqu’à conclure qu’il ne sert à rien de participer aux élections, car tout est bipé d’avance.
Pareille attitude est une erreur fondamentale que nous commettons d’années en années, réduisant notre taux de participation électorale en peau de chagrin, abandonnant ainsi notre terre à la merci des « gentibus » du monde néolibéral, des prédateurs qui ne souhaitent qu’une seule chose : avoir les mains libres pour jouer aux Leopold II des temps modernes à travers des intermédiaires nationaux et sous- régionaux.
S’il est vrai que nous sommes conscients du danger d’un éventuel boycott des élections sur lequel nous ne sommes pas encore capables de nous entendre tous en tant que peuple organisé et structuré ; il est aussi vrai que nous sommes en droit de nous poser de sérieuses questions sur la capacité et surtout la volonté politique des dirigeants d’un Etat chaotique comme le nôtre d’organiser des
élections libres, transparentes et apaisées sur notre terre.
En effet, un état qui, hier comme aujourd’hui, a érigé le chaos comme mode de gouvernance ne peut ni promouvoir la démocratie, ni encore moins organiser de bonnes élections. Ici, tout est façade si pas fiction et faction en commençant par la démocratie qui a élu domicile chez nous ; une démocratie politique, faite d’élections truquées et tronquées, d’élus illégitimes qui n’ont pour assurance que l’arrogance de leurs ignorances, d’institutions faibles et réduites en espace
théâtral, etc. Dans pareil Etat chaotique, un Far West sans Shérif, c’est le règne des hommes forts et non d’institutions fortes sur fond d’un pouvoir patriarcal préoccupé par le pouvoir comme instrument d’accès à l’argent et aux honneurs.
Dans ce contexte, avec des partis politiques sans démocrates, les
élections ne servent qu’à créer le simulacre d’une démocratie participative en donnant au peuple l’illusion de devenir « souverain primaire » juste le temps de déposer naïvement son bulletin de vote dans l’urne, en attendant la proclamation des résultats qui ne seront jamais conformes à la vérité des urnes. C’est alors qu’interviennent les missions internationales et locales d’observation électorale pour clore nos ébats électoraux avec la désormais consacrée boutade : « les
élections ont été entachées de fraudes massives mais celles-ci n’ont en rien altéré les résultats ».
L’artifice électoral dans une démocratie de façade finit ainsi par donner naissance à des institutions mirages, des hémicycles caisses de résonnance, où leurres et heurts s’offrent en spectacle. C’est dans ces cadres que l’on orchestre l’avant, le pendant et l’après des élections, en boutiquant la loi électorale ainsi que celle qui lance le « go » de la restructuration de la CENI.
Ainsi, voici trois cycles électoraux que le peuple congolais lutte pour avoir des élections libres et transparentes, afin de se doter des dirigeants dignes et nationalistes, qui accepteront de construire une gouvernance démocratique soucieuse de la femme et de l’homme congolais. En 2023, le peuple congolais ne veut plus de toutes ces « mauvaises élections ». C’est donc dans cette perspective que notre peuple, à chaque rendez-vous électoral, se met inlassablement au
travail afin de prouver sa capacité de se mobiliser de l’intérieur pour des élections libres et démocratiques.
Aujourd’hui, le peuple du Congo désire ardemment la tenue des élections libres et démocratiques. Mais, contrairement à certains membres de notre communauté nationale, les Congolais ne veulent pas voir la ruse ni l’argent gouverner ces élections. Aussi, le peuple veut prendre les gouvernants et le nouveau management de la CENI aux mots. Car, lors de toutes leurs rencontres avec les partis politiques, ONG, églises et diverses associations, nos gouvernants ainsi que les dirigeants de la nouvelle CENI affirment qu’ils n’entendent pas
organiser les élections sans la participation des Congolaises et Congolais. Ce peuple veut que les gouvernants et la CENI aillent plus loin dans leur volonté de jouer franc jeu avec lui dans l’organisation des élections de 2023. Fort de ce qui précède, il semble urgent de les prendre aux mots et de passer à du concret dans la non-violence pour mettre ainsi fin à des siècles de duperies et surtout de lamentations. Les propositions ci-dessous ne sont pas exhaustives. Elles restent
aussi perfectibles en tenant compte de chaque circonscription électorale et surtout de la créativité et de l’engagement des uns et des autres.
STRATEGIES CONCRETES DE LUTTE CONTRE LA FRAUDE ELECTORALE
La fraude électorale n’est possible que si la victime devient complice du fraudeur !
Avant les élections
Depuis 2006, le scénario est resté le même, immuable.
• Combat pour une Commission Électorale Indépendante
Depuis toujours, les débats autour de la CEI posent, avant tout, la question de l’indépendance de ladite commission. Au regard de sa composition, la CENI a toujours été une commission indépendante du peuple et dépendante des composantes politiques toujours majoritaires en son sein. En effet, au regard de sa composition, les composantes politiques se sont toujours taillées la plus grosse part alors que la société civile, qui est censée assurer l’indépendance de cette
commission, a toujours été minoritaire.
A la question de l’indépendance de la CENI s’ajoute celle de l’indépendance même de la société civile qui affirme que sa présence en grand nombre au sein de cette commission garantirait l’indépendance de cette même commission. Mais, ayant hypothéqué leur propre indépendance en se rangeant derrière telle ou telle composante politique depuis la Conférence Nationale Souveraine et le Dialogue
inter-congolais, la plupart des animateurs de la société civile qui réclament l’indépendance de la CENI ne haussent souvent le ton que pour ne pas figurer sur la liste des nombreux oubliés du partage du gâteau national.
Certains certes sont honnêtes et rêvent réellement de l’indépendance de la CENI. Mais tout le problème réside dans le comment arriver à cette indépendance avec des animateurs de la société civile pro PPRD, pro UDPS, pro MLC, pro RCD, pro Ensemble et pro Union Sacrée pour ne citer que ces tendances en compétition pour le pouvoir ?
Stratégie 1 : Pression non violente sur les acteurs de la société civile, membres de la CENI
Lister les noms des membres de la société civile œuvrant à différents échelons de la CENI. Il est question de leur rappeler régulièrement leurs liens avec le peuple et le service que celui-ci attend d’eux. Le nouveau management de la CENI affirme vouloir une population proactive. Prenons la CENI au mot. Communiquons entre nous les numéros de téléphones et adresses e-mail de son personnel, membres de la société civile. Soyons proactifs en les félicitant pour le travail bien fait. Par contre, interpellons-les pour les cas de déroute. A la rigueur, allons jusqu’à les dénoncer, preuves à l’appui, auprès des autorités de la CENI et si nécessaire auprès de la justice. Il faut que nous arrivions à les contraindre à réaliser un travail impeccable pour la nation.
• Pseudo élection du Président de la CENI
Il s’agit d’une élection folklorique à laquelle sont conviées les confessions religieuses. Comme dans les assemblées provinciales, les futurs gouverneurs ainsi que le futur Président de la CENI sont désignés par le clan de l’autorité morale au pouvoir et entérinés par les députés provinciaux ou les chefs des confessions religieuses moyennant des pièces sonnantes et « raisonnantes » ou « des dons en
argent », pour faire plus spirituel. Toutes ces acrobaties consacrent une élection tumultueuse qui prive le Président de la CENI de la confiance dont il devrait jouir de la part de toutes les parties prenantes aux élections tout au long du processus électoral. Toute la question pour le Président élu reste de savoir comment il compte s’y prendre pour créer un climat de confiance entre lui et tous les cteurs impliqués dans le processus électoral.
Stratégie 2 : Le défi éthique du Président de la CENI
Pour retrouver la confiance de toutes les parties prenantes aux élections et surtout du peuple congolais, le Président de la CENI n’a pas d’autre alternative. Il doit relever le défi permanent et toujours actuel qu’impose l’exercice des fonctions publiques dans notre pays. Le Président de la CENI est entre le marteau et l’enclume. Il doit, à chaque décision, choisir entre la soif de l’avoir, de l’argent, des
honneurs et le must de l’être. Chaque acte posé sera un exercice de grande exigence éthique pour que son mandat ne soit pas qu’un suicide individuel et institutionnel comme les mandats de tous ses prédécesseurs à la tête de cette institution. Il lui faudra avoir le courage et la dignité qui leur ont fait défaut ; un manque qui a profondément terni la noble mission qui leur avait été confiée.
Conscient de ce qui précède, il accueillera alors la pression du peuple et des autres acteurs comme une contribution à la construction de son être et de notre être collectif. A lui donc de relever le défi éthique ou de mourir, au propre comme au figuré !
Stratégie 3 : Pression non violente sur le Président de la CENI
Le peuple en action doit se dresser en sentinelle de l’action du Président de la CENI. Notre rôle sera de lui répéter régulièrement la relation qu’il doit maintenir entre sa technicité et l’éthique de son agir. Aujourd’hui, le peuple est devant un fait accompli. Il est le Président de la CENI. A lui, au quotidien, de nous montrer que le
technicien de renommée internationale est à même d’offrir à ce pays ses premières élections transparentes et crédibles. Dans le cas contraire, notre technocrate sera celui qui portera la triste responsabilité de la mort de la CENI comme institution électorale, car, je doute fort que la CENI survive à ce dernier scandale. Il faut
que l’actuel Président prenne conscience de ses responsabilités. Quelle tristesse pour lui et toute sa progéniture s’il devait, si jeune, terminer sa si belle carrière professionnelle internationale d’hier par le désaveu de tout notre peuple demain !
A nous, peuple congolais, de rester pro-actif. Aux frères et sœurs de la société civile ainsi que tous ceux qui, en interne, sont soucieux du nouveau management de la CENI, d’aider les activistes prodémocratie à participer activement à l’émergence d’une nouvelle CENI au-delà de la métaphore du nouveau logo.
• Elaboration de la loi électorale
Taillées sur mesure, nos différentes lois électorales montrent, à chaque occasion, le vrai visage de ceux et celles qui sollicitent nos voix. La loi électorale est devenue le cadre par excellence d’aménagements opportunistes qui, sans gêne, préparent la fraude électorale avec des métaphores qui créent l’illusion d’une volonté de bien faire les choses :
* Elections présidentielles à deux tours hier et à un tour aujourd’hui, sans compter le tour final devant les cours et tribunaux
* Introduction du seuil électoral vite abandonné au profit d’un parrainage des partis politiques au contour nébuleux
* Liste paritaire avec pour gain le non-paiement de la caution permettant sans doute aux grands partis disposant de gros moyens financiers de se passer de nos consœurs sur leurs listes électorales
* L’absence de contraintes légales pour sévir contre la corruption avant, pendant et après les élections
* Le refus des législateurs d’interdire toute candidature ayant comme suppléant des épouses, des fils et des filles, des cousins et cousines afin d’éviter que des provinces entières soient sous le contrôle d’une seule famille.
* Des aménagements souvent non consensuels de la loi électorale
L’actuelle loi électorale est passée comme une lettre à la poste, négociée entre nos préoccupations sécuritaires pour ce qui se passait à l’Est du pays et la mobilisation de tout notre peuple pour soutenir nos forces armées. Nos politiciens ont précipité les débats sur cette importante loi au rythme de séances parlementaires où s’entremêlaient humour, dérision et cynisme couronnés par la désormais célèbre phrase « Ngai mpe nazadi mubadi » qui scellait, sous nos rires inconsciemment acclamateurs, l’élaboration d’une loi électorale non consensuelle,
porteuse de conflits postélectoraux de l’horizon 2023.
Comme hier, la nouvelle loi électorale d’aujourd’hui contient des innovations rendant caduques les innovations d’hier. Malheureusement, comme hier, nos innovations d’aujourd’hui sont orphelines d’une éthique à même de les porter dans la durée ! En 2028, les innovations de 2023 seront, à leur tour, surannées.
En effet, je ne serais pas surpris qu’en 2028 :
* L’introduction du seuil de recevabilité des listes censées sonner le glas des partis politiques mallettes ne donne naissance à des regroupements qui seront remis en question parce que confectionnés à coups d’argent et du genre « Union Sacrée » !
* La possibilité qu’une liste tenant compte de la représentation de la femme et de la personne avec handicap avec pour incitation l’exemption de paiement de caution n’oblige nullement les autorités morales financièrement puissantes de dresser des listes qui ne tiennent pas compte de cette innovation puisqu’aucune disposition légale les y oblige. Il faudra attendre sans doute 2028 pour une innovation innovante à cet effet.
* La crainte que la distinction des inéligibilités définitives pour crime grave (génocide, crime contre l’humanité, crime de guerre), de celles qui sont temporaires pour les autres infractions ne devienne un outil précieux entre les mains de magistrats et autres juges véreux qui feront valser les candidats jugés dangereux par le pouvoir en place. 2028 sera l’occasion de se débarrasser de cette innovation jugée partisane.
* L’obligation pour la CENI d’afficher les résultats bureau de vote par bureau de vote au niveau des centres de vote et des centres locaux de compilation des résultats ; et l’obligation pour la CENI de publier tous les résultats bureau de vote par bureau de vote dans ses locaux et sur son site Internet ne trouvent manifestement comme ingénieux obstacles une logistique boiteuse savamment entretenue pour rendre toutes ces opérations impossibles.
* L’impératif pour la CENI de publier la cartographie électorale trente jours avant le début de la campagne ; l’obligation d’assurer la transmission des plis destinés aux cours et tribunaux avant le traitement des contentieux, ainsi que l’obligation pour les cours et tribunaux de se servir des procès-verbaux lors du traitement des
contentieux n’apparaissent fin 2023 comme un ensemble de vœux pieux que la soif du pouvoir balaiera d’un revers de main.
* Le principe d’accréditation comme observateur de tout Congolais ou étranger mandaté par une organisation nationale et internationale ne soit que lettre morte avec des missions d’observation dont le rôle est enfermé dans des dispositions qui les rendent inutiles et surtout inefficaces dans le rétablissement de la vérité des urnes. Vivement les innovations de 2028 après celles de 2011, 2017 et 2023 !
Stratégie 4 : Lecture critique de la loi électorale
Il s’agit, pour tous, analphabètes et lettrés, de prendre connaissance de la loi électorale. Que tous ceux et toutes celles qui peuvent traduire cette loi électorale, la traduise dans nos langues vernaculaires en mettant l’accent sur ses zones d’ombre. Que les dessinateurs et autres artistes utilisent tous leurs outils
artistiques pour faire passer ces messages. Les rappeurs et autres musiciens trouveront ici de la matière pour se rendre utile pendant cette période d’avant les élections.
Organisons-nous au niveau de nos organisations, de nos services, de nos bureaux, de nos églises, de nos paroisses, dans les cellules de base, dans les terrasses, dans les bus tout au long des trajets vers le travail ou la maison, dans les corporations professionnelles, syndicats et autres associations citoyennes : les vendeuses des marchés, les mamans des terrasses, les groupes de makelemba, les mama bipupula, les responsables des parkings, les chauffeurs, les artistes, les sportifs, les chefs coutumiers, les jeunes dans leurs cercles culturels, etc… Il faut nous imprégner de cette loi afin de déceler les portes par où elle compte faire passer la fraude électorale et monter nos différentes stratégies pour les contrer.
(¨Par Thierry Nlandu Mayamba, Professeur Ordinaire à la Faculté des Lettres/Université de Kinshasa, Consultant en développement
Organisationnel – E-mail : thierrynlandu@yahoo.fr – Tél. 0818823337)
A SUIVRE